Loreleï (Chapitre 46)

109 18 7
                                    

Loreleï regardait approcher Astra à travers la vitre du vaisseau spatial avec un étrange mélange de regret et de détermination.

Passant une main dans ses longs cheveux blonds, elle eut une rapide pensée pour ses enfants laissés en relative sécurité sur Mars. Si jamais ils perdaient cette guerre Caldion et elle... Alors que se passerait il pour eux ?

Elle ferma les yeux, inspira, puis les rouvrit pour ne plus ressentir que sa volonté. Caldion se tenait debout à côté d'elle, deux hommes pilotaient manuellement le vaisseau, et il était si bondé de soldats et de volontaires qu'une trentaine de gardes occupaient le reste de l'espace, debout également, n'ayant pu trouver de place ailleurs.

— Dans deux minutes nous arrivons...

Elle hocha la tête à la remarque de son compagnon. La jeune femme savait qu'ils pensaient tous deux à la même chose. Que pendant que leurs premiers vaisseaux se lançaient à l'attaque des Eriquiens pour freiner leur avancée, tenter de gagner même, eux mêmes recrutaient sur les dernières planètes à avoir rejoints l'alliance. Que certains des leurs s'étaient fait descendre pour leur permettre cette arrivée plus tardive...

Ils étaient désormais des milliers dans le ciel et formaient l'armée la plus hétéroclite jamais rencontrée. Des vaisseaux asiatiques de Nepsys, des appareils mercenaires renegats de Derbos, comme si même les esclavagistes pouvaient avoir une conscience pour une terre idéaliste comme Astra, et tout y risquer. Des hommes de Greba, de X-Dhrea, de Eratum, d'Yguidour... Des planètes qui hier encore suivaient l'AM.Erica et avaient toutes participé au massacre d'Astra, soit en agissant, soit en laissant faire.

— Nous y serons dans quelques minutes, murmura t-elle.

Cela aussi, c'était une évidence. Caldion vint poser une main sur son épaule, grave. Pas un ne murmurait dans l'appareil, l'ambiance étant lourde et tendue.

Il se pencha cependant vers elle pour déposer un léger baiser sur sa joue, et lui murmura quelques mots,

— Je te télécharge un message. Lis le, il est important.

Elle leva son poignet pour toute réponse, fixant l'écran qui y était attaché tandis que Caldion se redressait pour d'une manipulation lui joindre le fichier.

Elle activa sa messagerie, posant sa main sur le bord rustique de son fauteuil, et déchiffra les premiers mots la gorge serrée. Il restait deux minutes avant d'atterrir... Deux minutes pour lire ce que lui avait écrit celui qui avait été l'un de ses plus grands amis pendant des années, comme un frère. Celui qui avait eu le courage de prendre la tête de la première expédition, en sachant parfaitement qu'elle n'avait pratiquement aucune chance de survie.

Ma chère Loreleï,

Si tu lis ces mots, si Caldion te les a transmis, c'est que je suis mort. Qu'un petit reste de moi vogue dans l'espace noir intersidéral, vide, que j'ai explosé en un milliers de particules de poussière, ou encore que je suis tombé sur la Terre d'Astra.

Alors je peux te parler. Te dire. T'exprimer cet immense amour que j'ai toujours eu pour toi. Je revois arriver devant moi l'enfant effrayée, incomprise, vendue en esclavage par ses parents.

Tu fus d'abord une petite sœur, une enfant à protéger. Je n'ai pas su voir l'évolution de mes sentiments pour toi assez vite. J'ai dû te faire souffrir, alors. Pardonne le moi. Je l'ai payé mille fois, de t'en voir chaque jour aimer un autre.

Je meurs. Je meurs parce qu'il fallait quelqu'un pour prendre leur tête, parce que je sais que si cela n'avait pas été moi, ça aurait été toi. Caldion était le désigné, le chef de Mars, celui qui nous a réunis, pour la seconde manche. Et je sais que tu n'aurais pas laissé mourir nos hommes sans un chef qui leur soit proche. Je ne pouvais pas te laisser faire... Et, d'une certaine façon, c'était la fin logique de ma vie.

J'aime à penser que j'ai réussi ma mort. Que j'ai disparu dans un dernier élan d'amour - et l'amour n'est il pas l'idéal ? - donc en défendant ce qu'il y a de plus sublime.

Ne me pleure pas. C'est presque égoïste de mourir ainsi. Te chérir, te voir me rendre fou, avec tes fantaisie, cette désorganisation qui t'es si coutumière et, en même temps, cette énergie que tu mets dans tout ce que tu entreprends et qui te tiens vraiment à cœur.

Je le sais. Au plus profond de moi je le sais. Que tu gagneras cette guerre comme tu es allée au bout de ses combats.

Parce que c'est ta justice. Mais parce que aujourd'hui tes idéaux rejoignent de plus grands, ceux de tout Astra.

J'espère que tu auras la joie de continuer d'avancer auprès de celui que tu as choisi dans ta vie et que j'ai appris à estimer, Caldion. Et que tes enfants grandissent, avec la même étincelle de folie et rage de vivre que je te connais.

A Dieu, dans un autre monde

Taery

Loreleï redressa la tête au même moment où une vibration sourde secouait leur vaisseau. Elle savait qu'il n'était pas de dernière génération, et qu'il soit encore en état de voyager tenait déjà du miracle. Ils avaient récupéré absolument tout ce qu'ils pouvaient trouver dans la galaxie, et celui ci illustrait bien la pauvreté générale de leur équipement, qu'ils espéraient compenser par leur nombre et leur volonté.

Son regard embué croisa celui de Caldion et elle s'efforça de sourire, tandis qu'une dernière secousse remuait leur vaisseau.

— Il va bien je suppose, maintenant. Il est là où il croyait qu'il irait.

S'il y avait un autre monde, Taery faisait partie de ceux qui le méritaient. Et à cet instant Loreleï voulait qu'il existe.

Caldion hocha la tête et lui pressa l'épaule, partageant sa peine. Elle laissa filer quelques secondes, puis se leva sans plus attendre, éteignant son écran.

Ils étaient sur Astra, et ils n'avaient plus d'autre choix que d'avancer jusqu'au bout. Leurs soldats les attendaient...

Une femme annonça d'une voix grave :

— Nous sommes posés. Comme prévu, à moins d'un kilomètre du campement des Eriquiens. Ivy et en face... Certains des nôtres doivent déjà y être. Nous pouvons lancer l'attaque maintenant et les prendre en tenaille. Ils ne doivent pas encore être remis de notre arrivée...

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant