Ce n'était pas Rodolphe au chevet de l'homme à terre. C'était son fils, Theobald. Il avait une vilaine blessure aux côtés mais pansée et semblait aller relativement bien, malgré la fatigue et la peine qui peignait ses traits.
— Oh, c'est vous ! Il vous réclame depuis que je l'ai trouvé... Je ne pouvais pas le laisser seul.
Éden. Saskia s'effondra au sol et, sans connaissance de tous ceux qui l'entouraient, vint encadrer de ses mains le visage de l'homme qu'elle avait repoussé.
Celui-ci eut un pâle sourire. Il toussa et un filet de sang glissa le long de son menton puis sur sa poitrine.
— Saskia... Je voulais te revoir. Toi, juste toi.
— Je suis là, ne t'inquiète pas, il n'y a que nous.
— Tu leur diras, que c'était moi que tu aimais ?
Elle ne parvint pas à répondre, secouée d'une crise de sanglots. Il ne pouvait pas partir de cette façon. Elle avait toujours su qu'il serait là, quoi qu'il advienne. D'une certaine façon elle avait pu le repousser, parce que jamais il ne partirait. Elle n'avait simplement pas pu imaginer le voir mourir.
La jeune femme se pencha vers lui, posant une main sur sa poitrine pour mieux plonger son regard dans le sien, à moitié éteint.
— Éden ! C'est toi, toi que j'aime ! Ne meurs pas ! On vivra ensemble, on ira loin, on...
Elle voulait le supplier. N'avait plus aucune conscience des silhouettes autour d'eux, de la nuit, de l'odeur de fumée encore de la plaine.
Elle devina une main qui se posait sur son épaule, mais se dégagea, hurlant soudain.
— Éden !
Il ébaucha un nouveau sourire, qui n'en avait que le nom.
— L'enfant ? De qui est l'enfant ?
Elle aurait tant aimé mentir à cet instant. Lui dire ce qu'il rêvait d'entendre... Mais elle s'en trouva incapable. Incapable encore une fois d'aller au bout.
Baissant la tête, elle répéta ce qui n'était que la vérité, mais tranchante à cet instant.
— C'est celui de Rodolphe. Je n'ai pas menti.
Il leva une main avec le peu d'énergie qui lui restait et vint la poser sur sa nuque pour la rapprocher encore de lui. Leurs lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres, la sueur dégoulinait de tout son être.
— Sas', je l'aurais élevé comme mon fils. Tu comprends ? Je t'aurais prise avec l'enfant. Tu entends ? Je t'aurais donné...
Il y avait une angoisse indiscernable dans sa voix. La jeune femme vit repasser toute sa vie dans son regard et cet instant qui concrétisait tous ses choix et soudain se maudit de toute sa personne.
— Nooooon !
Il s'effondra et bientôt elle n'eut plus dans ses bras que le corps inerte de l'homme qu'elle avait aimé.
Pourquoi ne l'avait elle pas choisi ? Pour qu'elle aveugle raison n'en avait elle jamais eu le courage ? C'était si lache de choisir la raison ! Si dérisoire aussi à cet instant. Avoir vécu aux côtés de cet homme, toujours, et l'histoire aurait pu changer... Elle ne pouvait le perdre, elle ne pouvait admettre qu'il n'existait plus aucune possibilité de corriger ce pour quoi elle n'avait pas eu le cran de se battre plus tôt.
— Non, noooon, Éden reste...
Elle sentit qu'on la soulevait par les épaules mais tenta de se dégager comme une furie.
— Lâchez moi ! Lâchez moi vous entendez ! Il n'est pas mort ! Il est vivant, il va revenir !
C'était insoutenable. Elle sentait au plus profond de son être monter en elle un refus comme elle n'en avait jamais vécu.
Theobald tenta encore de la prendre, avec douceur.
— Saskia... Venez. On va vous aider, vous donner des vêtements chauds et...
Elle le griffa violemment et retomba sur le sol. Un pas se fit entendre juste à sa droite et lorsqu'elle leva la tête, ce fut pour tomber sur le regard impénétrable de Rodolphe.
— Tu portes mon enfant, lève toi. Tu ne peux te comporter ainsi, pas devant les nôtres... Nous avons tous perdus des êtres chers.
Elle se fit haineuse.
— Tais toi ! C'est lui que j'aimais ! Toi, toi tu ne m'es tellement rien !
Cela ne parut pas l'atteindre. Un éclair seulement traversa son regard, et sans un mot de plus, il se pencha, la saisit vigoureusement à son tour, et elle ne put cette fois ci trouver une issue.
Mais c'était impossible. Éden était là. Bien sûr qu'il était là ! Ils ne voyaient pas, tous ? Qu'il fallait l'aider, le secourir, qu'il n'était pas mort mais seulement évanoui ?
Un rire la saisit. Un rire affreux, aigre, qui alla résonner dans la nuit et fit frissonner toutes les personnes présentes sauf Rodolphe qui demeura impassible.
Elle se tortilla entre ses mains, comme une poupée disloquée.
Ses pensées étaient de moins en moins cohérentes. Quelque chose se fissurait en elle. Ne pas avoir eu le courage d'aimer. Avoir choisi la raison tranquille, le chemin tracé.
Ce regard d'Eden, cette supplication, pour qu'elle comprenne une dernière fois à quel point il acceptait tout d'elle pourvu que d'une parole elle soit à ses côtés.
— Saskia, calme toi.
Le ton de Rodolphe était plus doux, plus inquiet aussi. Elle était cependant beaucoup trop loin pour l'entendre.
Elle se remit à rire et soudain se calma, se laissant totalement retomber contre lui. Elle ne fixait plus le corps à terre mais un invisible point devant elle.
— Oh, regardez ! Il est là ! Voyez tous ! Je vous avais dit qu'il était vivant !
Le vent se souleva de nouveau à cet instant, s'engouffrant dans sa chevelure et tout en contemplant le vide Saskia se mit à sourire, comme une adolescente au premier émoi.
Ses joues rosirent. Il était là. Il flottait un peu et n'était ce pas lui que l'on entendait murmurer à son oreille ? Ils pouvaient tout rattraper, tous les deux. Ils pouvaient tout combattre. Elle pouvait choisir d'être courageuse. Choisir qu'aimer était le véritable but de son existence.
La poigne de Rodolphe se resserra sur elle mais elle ne l'entendit qu'à peine. Elle s'éloignait, une paix grandissante l'envahissait et elle ne sentait déjà presque plus l'air absent que prenait son sourire.
— Saskia ?
— Il est là, là, là...
Elle se mit à chantonner. Un homme à sa gauche recula.
— Elle est devenue folle.
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Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]
Science FictionTome 5 : L'enfant des deux mondes La guerre fait rage. Les enfants d'Astra ont passé des années dans l'espace à survivre comme ils le pouvaient... Il est maintenant temps pour eux d'entrer dans la dernière phase du plan. Il est temps de rentrer chez...