Sibylle (Chapitre 23)

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L'adolescente franchit la crevasse permettant d'accéder à la vallée où leur groupe s'était réfugié, passant devant le garçon de garde et précédée de Carlys.

A l'intérieur entre les herbes rares clairsemées par les trop nombreux pas, ils n'eurent pas besoin de crier pour rassembler tout le monde : la plupart des jeunes étaient déjà réunis et ils se tournèrent avec des visages figés par la tension et l'inquiétude vers Sibylle. Certains se levèrent, d'autres ne bougèrent pas, et une fille marmonna d'un ton accusateur :

— Qu'est ce qu'on va faire maintenant ? Ils éliminent les dragons...

Sans se l'avouer, tout le monde s'était toujours senti rassuré de leur présence invisible et ce malgré leur absence d'alliance. En effet, ils n'étaient ainsi pas seuls contre les soldats Eriquiens...

Sibylle s'immobilisa, restant à une légère distance du groupe au pied des rares buissons apportant de l'ombre bienvenue en été, mais actuellement juste rafraîchissante. Carlys s'avança lui sans hésiter de son pas ferme et sûr. Il parut vouloir prendre la parole et tous les regards se focalisèrent sur lui. Depuis quelques temps, la princesse s'effaçait beaucoup et chacun avait pris l'habitude d'écouter le philosophe s'expliquer à sa place.

Elle lut cependant dans le regard du jeune homme lorsqu'il se retourna vers elle une étincelle de supplication et elle comprit instinctivement ce qu'il voulait : qu'ils soient tous les deux ensembles dans cette épreuve.

L'adolescente ferma les yeux, retenant un soupir. Il recherchait entre eux une complicité qu'elle ne se sentait plus capable d'éprouver pour quiconque, malgré les regrets qu'elle en éprouvait.

Les paroles du jeune homme résonnaient cependant encore à ses paroles et des images défilaient sans suite dans son esprit. Les dragons... Cela faisait des mois qu'elle vivait avec l'idée de la mort ancrée en elle. Pourquoi ne pas en finir de la plus belle des façons possible ?

Elle fit un pas en avant, cédant au regard insistant de Carlys, et les regards des jeunes se firent plus hésitants. Un garçon assis à terre se leva, épousseta son jean, et esquissa un salut de la tête.

— Princesse... Que devons nous faire ?

Le vent souleva les cheveux longs de la jeune femme qui lutta contre son désir de secouer la tête sans rien dire et de simplement s'enfuir pour les laisser se débrouiller entre eux. Personne ne comprenait il donc qu'elle était un fantôme et n'appartenait déjà plus totalement à leur monde, constitué de personnes ne désirant que violemment et à tous prix ce qu'elle même exécrait, la vie ?

Ce fut Carlys qui l'empêcha de tourner les talons, et le souvenir de ce qu'elle avait été avant de recevoir l'implantation du Ravageur. Une idéaliste qui aurait lutté jusqu'au bout et n'aurait pu qu'être dégoûtée de sa propre tentation d'abandonner ces jeunes qui dépendaient d'elle et avaient accepté de la suivre.

— Les Eriquiens attaquent les dragons... Il est temps que les anciennes alliances renaissent. Si les créatures les plus emblématiques d'Astra ont oublié qu'ils ont toujours été liés aux princes, rappelons leur que s'ils ont de la mémoire, nous aussi. Ils nous ont aidé par le passé, c'est à notre tour de le faire aujourd'hui.

Elle retrouvait comme un reste de son ancienne éloquence et un triste sourire naquit sur les lèvres de Carlys et quelque chose qu'elle aima moins : une étincelle fugace d'espoir comme Si tout redevenait possible entre eux.

Les jeunes rassemblées sur la terre boueuse la regardaient d'un air stupéfait, ayant oublié qu'elle pouvait prendre les choses en main. Un garçon en salopette murmura enfin :

— Nous allons mourir si nous faisons cela...

Malgré elle, Sibylle eut une grimace amère.

— Quelle importance ? Mourir ici au fond d'un trou ou là bas au nom de ce qui est juste, ne trouvez vous pas le choix évident ?

L'étincelle disparut du regard de Carlys et il parut soudain au bord des larmes. Sibylle sentit son coeur se serrer au plus profond d'elle même dans sa poitrine. Elle commençait à percevoir ce qu'elle ne s'avouait pas : qu'elle l'aimait sans doute autant qu'il l'aimait. Si seulement cela avait pu contrebalancer son dégoût de la vie...

Elle voulut parler, tenter de rattraper ses paroles défaitistes, mais il ne l'attendit pas et se détourna, le regard dur, vers les Astrayens.

— Ce que notre princesse veut dire, c'est qu'il est temps pour nous d'agir. En nous alliant aux dragons, nous pourrons au moins fragiliser les Eriquiens et préparer le retour de l'empereur... Je sais que beaucoup d'entre vous n'espèrent plus ce moment, mais ne doutez pas. Il reviendra, plus fort que jamais, et il aura alors besoin de nous... Il nous remerciera d'avoir lutté contre l'ennemi !

Sibylle devina que ses paroles s'adressaient à elle et aux quelques regards qui dérivèrent vers elle avec hésitation, elle songea qu'elle n'était pas la seule à s'être faite cette réflexion.

Les Astrayens ne semblaient cependant pas enthousiastes malgré ce discours. Ils étaient sales, fatigués, usés par l'attente et l'absence de nouvelles.

La seule chose qui pourrait les motiver était de la voir elle passionnée... Au prix d'un effort surhumain, elle effaça de ses traits le pli dur qu'elle arborait et se mît à sourire tout en s'avançant d'un nouveau pas.

— Les Eriquiens nous ont oublié... Et nous mêmes nous nous sommes perdus quelque part dans cette montagne. Il est temps de nous retrouver et de leur montrer ce que c'est que d'être un Astra !

Elle brandit le poing vers le ciel, un mouvement qu'elle n'avait plus fait depuis de longs mois, et elle crut un instant que le silence allait se poursuivre avant que Carlys ne crie :

— Hurra pour son Sibylle Astra !

Les autres ne virent que la joie qu'il affichait et l'air transfiguré de la princesse, mais les regards que les deux jeunes gens échangèrent étaient sombres et tristes.

Une fille se mît à applaudir et très vite tout le monde la suivit. Les sourires naquirent sur toutes les lèvres et une voix cria dans le groupe :

— Qu'ils se souviennent donc des Astra ! Même si nous étions les derniers, nous leur montrerons !

L'espoir renaissait, sauf dans le coeur de la jeune femme.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant