Saskia (Chapitre 42)

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Saskia s'appuya sur ses mains, hagarde, tentant de se relever. Un nuage de poussière s'élevait dans la rue et elle sentit avant de le voir l'odeur âcre de l'incendie.

A croire qu'il restait encore quelque chose à brûler dans cette ville en ruine. Des hurlements se faisaient entendre de tous côtés tandis que les premières bombes incendiaires commençaient à pleuvoir.

Elle sentit soudain une poigne ferme la soulever par les épaules et la remettre sur pied et fronça les sourcils en se retournant vers Eden.

— Nous n'avons aucune chance de survivre. Nous n'aurions jamais dû aller précisément ici...

Le jeune homme avait le visage noirci par la poussière où il était également tombé et la chemise largement déchiré.

Il esquissa un sourire désabusé en écartant les mains d'un geste las.

— Et ou voulais tu que nous allions ? Nous terrer dans les montagnes ? Et pour combien de temps, des années ? Je veux vivre, mais pas à n'importe quel prix. Je veux vivre libre ou mourir debout.

Saskia trembla, sentant qu'au fond elle pensait comme lui. S'il n'y avait l'enfant qu'elle portait... et ce qu'elle ressentait pour les deux hommes de sa vie, lui-même et Rodolphe.

Elle savait qu'en devenant mère jamais plus elle ne pourrait ne fut-ce qu'embrasser Éden, mais elle tenait à s'assurer sa présence malgré elle.

— Il faut qu'on aille vers la tour...

Elle reprit sa marche mais Éden la ceintura, la retenant contre lui avec une violence non dénuée de passion au fond de ses brillantes prunelles.

— Pas question. Tu ne peux pas aider Rodolphe et là, la seule chose à faire, c'est faire comme tout le monde et s'enfoncer dans les ruines et essayer de trouver un abri. Viens !

Elle se dégagea brutalement.

— Non ! C'est le père de mon enfant, et...

Éden fronça les sourcils.

— Et tu as juré de le servir jusqu'à la fin de tes jours. C'est cela la vraie raison. Le devoir, le devoir avant les sentiments !

Elle haussa les épaules, frottant au passage sa nuque endolorie.

— Je ne suis pas comme Rodolphe qui cède à l'amour, comme Sibylle qui reste en vie pour ceux qu'elle aime, comme toi qui m'a choisit comme but de vie... Je me bats pour mes valeurs, pas pour des gens.

Une fois de plus elle ne put faire plus d'un pas, avant d'être rattrapée et qu'il ne saisisse son poignet. Leurs regards se rencontrèrent, le sien presque suppliant.

— Mais justement. Ne comprends tu pas ? Astra ce sont les gens. C'est chaque personne. C'est la valeur inestimable de chacun. C'est l'amour qui nous unit. C'est cela, le rêve Astrayen. De n'être pas une armée, de n'être pas raisonnables, mais d'être des enfants, des enfants aux grands rêves, qui se battront jusqu'au bout non pour de grandes théories mais pour ceux qu'ils aiment, que ce soit raisonnable ou non. C'est la seule chose au monde qui en vaille la peine.

— C'est ta vision. C'est cela qui nous a fait perdre la dernière guerre et m'a pris ma famille.

Cette fois ci elle se dégagea totalement, saisie de colère contre lui sans en saisir la cause. Ne pouvait il comprendre que pour sauver le plus grand nombre il fallait être raisonnable ? Il fallait s'assurer que Rodolphe soit en vie, car lui seul pouvait les federer et les mener à une victoire si incertaine...

Elle n'était plus loin de la tour et se mit à courir. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour deviner le pas d'Eden qui s'accélérait, celui-ci se mettant à la suivre.

Les vaisseaux menaçants de l'AM.Erica au-dessus de leur tête ne semblaient pas encore tirer à pleine puissance, mais la jeune femme songea avec terreur que cela ne tarderait pas.

Elle n'avait plus d'espoir, mais sa rage de vaincre et sa volonté de réussir le plan envers et contre tout demeuraient intactes. Jamais elle n'abandonnerait, elle voulait lutter, jusqu'au bout, de toute sa volonté, pour ses objectifs.

Alors qu'elle s'approchait des décombres du palais d'Astra, Saskia vit émerger des ruines l'empereur, manquant de tomber sur des gravats avant de se rattraper.

Il lui lança un regard insondable, puis désigna la tour derrière lui à Éden.

— Va les aider. Sibylle et Theobald y sont encore et ma sœur est blessée.

Le garçon jeta un coup d'œil à Saskia, hésitant, et ferma les poings.

— Tu la protégeras ?

La jeune femme se braqua, furieuse de ce besoin du soldat.

— Aux dernières nouvelles, je peux protéger aussi bien Rodolphe que moi-même.

L'empereur se contenta de toiser l'organisateur, furieux.

— J'ai besoin d'un entourage suivant aveuglément mes ordres. Je n'aurais pas dû vous laisser vous rapprocher autant de moi et vous donner l'impression de me connaître. Éden, va les aider. Et ne discute pas.

Saskia incendia son compagnon du regard et celui-ci après une dernière hésitation se décida. Elle savait que Rodolphe avait raison à cet instant. S'il ne s'imposait pas très vite comme un chef absolu, mener la guerre allait devenir impossible. Et ces dernières années l'Empereur avait souvent craint son propre caractère taciturne, son manque d'aisance sociale, pour souvent s'effacer du devant de la scène et laisser s'exprimer ses collaborateurs. Il était temps qu'il s'impose, y compris envers Eden ou ses proches.

L'organisateur n'insista plus et se remit à courir, renonçant à rester, allant droit dans la direction désignée.

Saskia songea qu'elle venait de démontrer qu'elle avait raison. Le devoir l'avait emporté sur son amour pour elle, et elle lui en était gré.

Elle se tourna vers Rodolphe et désigna le reste de la ville.

— Les organisateurs ont commencé à organiser les abris dans la ville, histoire qu'on soit suffisamment éloigné les uns des autres pour ne pas tout mourir sous une même bombe mais en même temps proches pour savoir où nous nous trouvons tous et nous coordonner. On rejoint Ralph au quartier général ?

Rodolphe hocha la tête. Il ne se retourna pas vers la tour mais demanda simplement :

— Éden sait aussi où il se trouve ? Il pourra les y conduire ?

— Oui.

— Bien. Un problème de réglé.

Ce Rodolphe froid et calculateur ne ressemblait pas à l'homme qu'elle connaissait. Saskia s'avança pour le guider, hésitante tout à coup, et posa une main sur son ventre. Elle se retourna vivement tandis qu'une nouvelle bombe incendiaire allait exploser plus loin dans un tonnerre assourdissant et projetait vers le ciel un nuage rougeoyant sans qu'aucun d'eux ne réagisse ou tressaille, déjà habitués.

— J'attends ton enfant. Tu te préoccuperais de moi comme tu viens de le faire pour ta sœur et ton fils ?

Le regard que lui renvoya l'Empereur était insondable. Il répondit après ce qui lui sembla des lustres.

— Exactement comme les autres Astrayens. Mon but est de sauver le plus possible d'entre vous. Je suis né pour cela, et c'est le seul moyen qui m'ait donné de réussir ma vie. Tu fais partie du groupe.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant