Fille du Ciel [FDS tome 3]

I - Chapitre 21

Jeremy

- Ah la la, les enfants, soupira ma mère devant le spectacle surprenant qui s'offrait à nous.

J'avais rarement vu des personnes passer si vite de la colère et du mépris au fou rire incontrolâble. Surtout Savannah. Elle ressentait les choses avec tant d'intensité qu'une telle transition lui demandait en temps normal un bon moment. C'était en fin de compte une agréable surprise. Raphaël n'avait jamais été aussi bavard à table, d'autant plus pour discuter d'un sujet sérieux. Nous étions tous quelque peu impressionnés. Cependant, le carlage trempé d'un mélange de Coca, d'eau et d'Ice Tea l'était moins.

- Allez, revenez à table, reprit ensuite ma mère. Ils ont l'air d'en avoir pour un moment et je n'ai pas envie de manger froid pour eux. Je nettoie tout ça puis j'apporte la suite.

- Laisse-moi t'aider, Laura, fit immédiatement Juliette avec gentillesse.

- Pas question ! répondit ma mère en l'incitant à se rasseoir. Finissez l'apéritif, ce sera nettoyé en un clin d'oeil.

Nous nous rassîmes à ses ordres et picorèrent les derniers gâteaux apéritif qu'ils restaient.

- Si j'avais su que mes questions susciteraient un tel débat, souffla Juliette à moitié pour rire et s'excuser.

- Pfff alors là, on ne sait jamais à quoi s'attendre avec ces deux-là, ne t'inquiète pas, ricana Marina.

- J'ai trouvé ça drôle, avoua Stella en rougissant légèrement.

J'ébourriffai ses cheveux pour l'embêter comme à mon habitude.

- Bien sûr, c'est drôle tant que tu n'es pas celle qui doit nettoyer derrière.

Elle s'empressa de chasser mes mains.

- Il faut vraiment que tu arrêtes ça, grogna-t-elle ensuite.

Une minute plus tard, le carlage était de nouveau propre et ma mère apporta le repas à table. Tout en faisant le service, je surpris Paul en train de jeter de fréquents coups d'oeil à travers la baie vitrée. Je ne pus m'empêcher de l'imiter et constatai que Savannah et Raphaël se battaient toujours comme des enfants, se jetant l'un sur l'autre pour essayer de se couler ou à l'inverse reculant pour se protéger des éclaboussures. J'étais persuadé que c'était purement innocent, mais mon beau-père semblait d'un autre avis.

- Je pense toujours ce que je t'ai dit l'autre fois, Jeremy. On devrait les surveiller un peu plus.

- Comment ça ? s'étonna Juliette.

De nouveau, nous nous retrouvâmes tous à les épier.

- Bon, ça suffit, rouspéta ensuite ma mère, ce ne sont pas nos affaires.

Un certain froncement de sourcil ne quitta pas le visage de Paul.

- Là n'est pas la question. On ne devrait pas encourager quelque chose qui est déjà voué à l'échec.

- Pas faux, ajouta Stella la bouche pleine.

- Je vous trouve un peu durs, intervint alors poliment Juliette. C'est vrai, au pire, ils vivent un petit amour de vacances, ils se disent au revoir à la fin de l'été, ils ont mal quelques semaines puis ils passent à autre chose. Dans le meilleur des cas, qui sait ? Ça pourrait s'avérer sérieux et tout compte fait, Raphaël aurait peut-être une Soleil à la rentrée.

Nous restâmes silencieux quelques secondes. Les beaux yeux de Juliette était rempli d'un bel optimisme romantique, mais c'était loin de la réalité. Ainsi, nous avions tous adoptés d'étranges regards un peu tristes dont nous étions les seuls à pouvoir comprendre la raison. Le seul regard légèrement différent était celui de ma mère. Premièrement, parce qu'il était posé sur moi, et parce qu'elle n'était pas triste pour eux mais pour moi. Elle était probablement en train d'imaginer ce que je devais ressentir à chaque fois que quelqu'un parlait de Savannah avec une autre personne. Je ne lui en voulais pas. J'étais même immensément soulagé d'avoir quelqu'un d'autre avec qui partager ce lourd secret, quand bien même nous n'en avions jamais réellement parler. Seulement, dans les moments comme celui-ci, ça rendait juste les choses encore plus douloureuses.