Jade se recoiffa négligemment avant de pénétrer dans le Cuba Libre, ce bar associatif plutôt défraichis situé dans une petite rue près du port. Elle n'était jamais venue. D'ordinaire, elle retrouvait ses amis à l'Estaque, elle n'aurait jamais eu l'idée de leur donner rendez-vous dans ce QG anarchiste. Le grand drapeau noir balafré du A rouge dans un cercle qui trônait au-dessus du bar attira tout de suite l'attention de Jade quand elle poussa la porte. Tous les regards des consommateurs se posèrent sur cette grande brune bien habillée, qui contrastait avec le style des habitués.
- Salut, lança une serveuse aux cheveux teints en rouge, je peux t'aider ?
Jade fut surprise par ce tutoiement d'entrée, mais elle ne s'en formalisa pas, chez les anarcho-communistes, on devait plus se donner du « Camarade » que du « Monsieur ».
- J'ai un rendez-vous, répondit Jade.
La fille la considéra avec un sourire amusé. Avec qui cette fille en jupe de tailleur et talons hauts pouvait bien avoir rendez-vous au Cuba Libre ? Jade réalisa subitement qu'elle avait déjà vu cette serveuse quelque part.
- Salut Jen.
La porte s'était ouverte sur Anthony, il était intégralement vêtu de noir, chemise, jean et Doc Martens. Ses manches retroussées laissaient voir ses avant-bras couverts de tatouages noirs et rouges, un chat au poil hérissé, un A dans un cercle. Jade se demanda si Anthony cachait ses tatouages pour plaider aux prud'hommes. Connaissant le personnage, probablement pas.
Après avoir salué la serveuse, son regard se posa sur Jade.
- Elle a un rendez-vous, lança Jennifer.
- Bonjour Monsieur Lefevre, se risqua Jade.
Un groupe de consommateurs attablés à une table voisine s'esclaffèrent. Personne ici ne donnait du « Monsieur Lefevre » à Anthony. Ils se demandaient qui pouvait bien être cette fille qui avait visiblement rendez-vous avec lui.
- Vous êtes Jade Marchand ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête et il l'entraina vers une table au fond du bar. Jade sortit son dictaphone et son iPad alors que Jennifer apportait déjà une pression à Anthony.
- Tu veux quoi ? demanda-t-elle à Jade.
- Un café, merci, fit-elle avec un sourire.
Jennifer afficha une grimace avant de repartir vers le bar. Elle eut envie de lui balancer qu'on ne disait pas merci en demandant quelque chose, mais s'il te plait. Qu'est-ce que cette pimbêche avec son sac Michael Kors venait faire au Cuba Libre, et avec Antho en plus.
Anthony fixa un instant la mousse de sa bière avant de demander à la jeune femme en face de lui.
- Pas trop dépaysée ?
- Ça va, répondit Jade qui se rendit soudain compte qu'elle était en train de détailler le décors du bar, donc ce lieu est important pour vous ?
Anthony sourit malgré lui, si cette fille était jolie, elle faisait tellement guindée. Ses mots étaient trop recherchés, trop choisis pour paraitre naturel, dommage.
- Qu'est-ce que ça veut dire important ? lança Anthony.
Jade avala sa salive, elle avait déjà mené des interviews ou l'interviewé répondait aux questions par une autre question... C'était de la pure langue de bois et elle n'avait aucune envie de jouer à ce petit jeu pendant toute l'interview. Elle décida donc d'entrer sans plus attendre dans le vif du sujet.
- Comment avez-vous commencé la politique, Monsieur Lefevre ?
Anthony éclata malgré lui de rire, cela faisait maintenant des années qu'il était avocat et encore plus qu'il militait en politique, mais il avait toujours du mal quand on l'appelait « Monsieur Lefevre ».
- Je vais vous répondre, fit-il devant le regard surpris de Jade, mais par pitié, arrêtez avec Monsieur Lefevre.
- Et je vous appelle comment ? demanda Jade.
- Anthony.
Elle hocha la tête et enclencha machinalement son dictaphone.
- Est-ce que vos parents faisaient de la politique ? demanda Jade.
- Non, fit-il, ma mère n'a jamais fait de politique et je n'ai jamais connu mon père.
Jade hocha la tête, cela la renvoya malgré elle à son enfance, à sa mère partie beaucoup trop tôt.
- Que faisait votre mère dans la vie ? fit Jade.
- Elle faisait ce qu'elle pouvait pour qu'on survive tous les deux, du ménage principalement.
Jade hocha la tête, pas de père, un mère femme de ménage qui se démène pour élever son fils seule, Anthony avait de quoi faire pleurer dans les chaumières.
- Vous avez grandi aux Cigales ? dit-elle.
- Oui, j'y ai grandi et j'y vit toujours.
- Pourquoi ?
La question était sortie toute seule. Pourquoi maintenant qu'Anthony était avocat et conseiller municipal, vivait-il toujours dans ce quartier réputé mal famé. Il sourit de la question.
- Et pourquoi pas ? lança-t-elle, les gens aux Cigales ne sont pas des animaux, ils font simplement ce qu'ils peuvent pour survivre, avez le peu que l'on veut bien leur donner.
- Comme du trafic de drogue par exemple.
Cette fois Anthony pouffa franchement.
- Madame Marchand, oui il y a du trafic de drogue aux Cigales, mais il y a aussi du trafic de drogue à la Bardane.
La Bardane était le quartier le plus huppé de la ville, de grandes maisons avec vastes jardins et piscines qui se négociaient à près de deux millions pour les plus chères.
- C'est juste qu'à la Bardane, ça ne se fait pas dans la rue.
Jade hocha la tête. Effectivement, les dealers ne faisaient pas le pieds de grue devant les belles villas de l'avenue de Provence.
- Revenons à vous, monsi... euh, Anthony, quand vous êtes-vous intéressé à la politique ?
- Quand j'ai compris que c'était la meilleure façon de faire changer les choses, répondit-il.
- Et vous aviez quel âge ?
Anthony réfléchis un instant, il s'était toujours senti investi de la mission quasi divine de sortir de la servitude les travailleurs exploités.
- Environ douze ans, répondit Anthony, je me suis présenté aux élections de délégués de classe, je voulais pouvoir défendre mes camarades.
Elle hocha la tête, prenant rapidement des notes sur son iPad.
- Et ensuite ?
- Ensuite j'ai toujours été délégué, continua-t-il, jusqu'en terminale. Parallèlement à ça, j'ai commencé à militer pour le parti communiste vers quinze ou seize ans.
- Donc vous aviez déjà des idées bien arrêtées ? demanda Jade.
Anthony eut un petit sourire devant l'air qu'il pensait impressionné de la journaliste.
- Si par idées bien arrêtées vous entendez que la politique doit faire passer l'humain avant les intérêts des riches, alors oui, j'avais déjà des idées bien arrêtées.
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La Race du Pouvoir [TERMINÉ]
General Fiction*Ceci est la suite de mon premier roman "Tu feras pleurer les plus belles filles".* Vous avez aimé Tu feras pleurer les plus belles filles ? Retrouvez Adam, Ruben, Idan et Matteo dans "La Race du Pouvoir" Le temps a passé, ils ont désormais trente a...