Chapitre 46

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— Je veux un accord.

Les deux policiers se regardèrent, ce type ne manquait vraiment pas d'air. Ce lundi, quand il l'avait sorti de son lit, à six heures du matin, il était en galante compagnie. En galante et mineure compagnie, après vérification la jeune fille qui partageait son lit avait quatorze ans. Alors son accord...

— Un accord sur quoi ? lança le commandant, la gosse qu'on a retrouvé dans ton lit ou le gamin mort dans l'incendie que t'as allumé ?

Le ton ne souffrait pas la réplique mais Ibrahim n'en avait cure. Il n'avait pas peur des flics.

— Un accord sur cette histoire d'incendie, répliqua-t-il, qui en a quelque chose à foutre d'une petite pute comme elle ?

Nouveau regard entre les policiers.

— Vous parlez au juge, continua Ibrahim, je veux un accord écrit, je vous balance tout et je m'en sors avec du sursis.

— Tu nous balances quoi ? fit le lieutenant, le nom du maque de la petite ? Pas besoin mon gars, on sait ce que c'est toi. On t'avait à l'oeil depuis un moment déjà.

Le commandant approuva d'un signe de tête, la PJ Marseillaise savait qu'Ibrahim Kacem faisait dans le proxénétisme de gamines, entre autres.

— Je vous balance le nom du mec qui m'a payé pour allumer le barbeuc'.

Le bref coup d'œil que jeta le lieutenant à son supérieur n'échappa pas à Ibrahim. À partir de la seconde où il avait prononcé le mot "payé", ce n'était plus lui qui intéressait la volaille, c'était les gros poissons. Un petit maquereau n'était rien à côté d'un bar de ligne.

— Vous ne pensez quand même pas que j'ai fait griller du gitan pour m'amuser, continua Ibrahim.

— Qui t'as payé ? fit le commandant.

Ibrahim sourit, un sourire sadique qui n'impressionna ni le commandant ni son lieutenant.

— Écoute Kacem, si tu bluff, si tu veux me la faire à l'envers je le saurais et ça sentira pas bon pour toi. On ne va pas te faire un accord pour de la merde. T'as été payé ? Il est où le fric?

Ibrahim continua de sourire, d'afficher la mine de celui qui mène la danse, alors qu'il ne s'attendait pas à cette question. Le fric, c'était toujours ce connard d'Anthony qui l'avait. Les trois mille balles qu'il lui avait donné au Cuba Libre n'avaient pas fait long feu.

— Chez moi, bluffa Ibrahim, dix mille, en liquide.

— Je me doute que t'as pas été payé par chèque, siffla le commandant. On va aller voir, si on ne trouve rien t'auras du soucis à te faire. J'aime pas me déplacer pour rien.

Ibrahim afficha un nouveau sourire. Les gardes à vue, disait-il à ses minots, c'est comme une partie de poker, si les keufs pensent que t'as les bonnes cartes, ils vont miser, miser, miser et se faire plumer. Ibrahim était bon au poker, et la partie s'annonçait serrée.

Oui, le commandant Delmas et ses hommes avaient bien trouvé de l'argent, dans l'appartement d'Ibrahim, mais pas les dix milles euros annoncés. En fouillant, ses hommes étaient tombés sur pas moins de soixante mille euros en petite coupures, répartie par liasse de cinq ou dix mille euros.

Quelle liasse provenait de quel trafic ? L'argent n'a pas d'odeur et c'est bien le problème, se dit Delmas en contemplant les liasses de billets enfermés dans des sacs plastique transparents. Si seulement les billets de provenant des putes sentaient le parfum capiteux, ceux de la drogue la beuh marocaine et ceux des armes la poudre brûlée... Mais quelle odeur aurait l'argent échangé contre un incendie criminel ? Celui de la tôle carbonisée ou de la chaire brûlée ?

— On a trouvé ta tirelire cochon, Kacem, fit Delmas en se rasseyant sur la chaise face à Ibrahim.

Il ouvrit un œil, le flic l'avait laissé en salle d'interrogatoire, il en avait profité pour faire un somme.

— Réveille toi, lançant le lieutenant.

— Je suis un peu fatigué, fit Ibrahim en bâillant, j'ai pas beaucoup dormi cette nuit.

— On se doute que t'as pas l'habitude de te lever à six heures du mat, siffla Delmas, mais là faut choisir Kacem, dormir ou négocier.

Un nouveau sourire se dessina sur le visage aux traits tirés d'Ibrahim. Les flics étaient près à négocier, tant pis pour Anthony. Ibrahim n'allait pas retourner aux Baumettes pour un type incapable d'aligner dix mille balles.

— Je négocie, fit-il, t'as parlé au juge ?

Delmas hocha la tête, il avait eut la juge d'instruction au téléphone. Elle aussi se posait la question du mobile, pourquoi un caïd marseillais aurait fait une heure de route pour mettre le feu à un camp gitan ?

— Tu l'as ton accord.

Ibrahim sourit, une partie de poker, mener les flics là où il voulait qu'ils aillent. Delmas lui mis sous le nez un fax portant la signature de la juge d'instruction chargée du dossier.

— Vas-y, le pressa Delmas.

Ibrahim sourit, releva la tête du papier qu'il n'avait pas pris le temps de lire et considéra le commandant et son lieutenant.

— Ce type qui m'a payé dix mille boules pour faire cramer les gitans, vous n'imaginez jamais pourquoi il a fait tout ça, c'est un fada.

— Ah ouais, fit platement le lieutenant.

Delmas s'impatientait, il n'en avait rien à foutre que Kacem lui balance les motivations, ce qu'il voulait, c'était le nom.

— C'est qui ? insista Delmas.

Ibrahim sourit. Faire grimper les enchères.

— C'est un politique, lança-t-il, un plus gros bonnet qu'une actrice de film de cul.

Delmas douta, rien ne prouvait que Kacem ne les baladait pas.

— Qui ? le pressa le lieutenant.

Ibrahim se retint de lui demander ce qui l'intéressait le plus, les gros bonnets ou les actrices de films de cul.

— Adam Benassya.

Delmas se leva, rempocha son accord.

— J'espère que tu t'es bien amusé la nuit dernière parce que ça manque de nichons aux Baumettes.

Il quitta la salle d'interrogatoire alors qu'un agent reconduisait Ibrahim dans les geôles du commissariat. Négocier oui, mais pas avec n'importe qui. Delmas et sa mise en scène étaient connus comme le loup blanc dans les quartiers nord de Marseille.

La Race du Pouvoir [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant