Chapitre 5

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— Madame Benassya, il faut vraiment expliquer à Seth qu'on ne peut pas utiliser des mots comme « putain » ou « sa race ».

Elisheva hocha la tête, l'institutrice continua sur le même ton professoral.

— Vous vous rendez compte qu'on parle d'un enfant de trois ans qui emploie ce genre de termes. Ce n'est acceptable, madame Benassya.

— Vous avez raison, répondit-elle, ça ne se reproduira plus, excusez-moi je dois aller chercher son frère.

Elisheva remonta dans sa Mini, après avoir installer Seth sur son siège enfant. Elle avait tout essayé pour qu'il arrête de crier « putain » toutes les deux minutes, mais sans grands résultats. Et ce n'était pas avec Adam qui sortait des « putain » toutes les trois phrases que son fils allait apprendre à parler correctement.

Elle préparait le diner quand Adam rentra du sport. Seth couru à nouveau dans les bras de son père. Salomon, lui, sagement assis au bar de la cuisine, apprenait sa poésie.

— Papa tu peux me faire réciter, s'il te plait ? demanda-t-il.

— On regarde Bob l'éponge carrée, putain, hurla Seth.

— Pas de télé, maintenant, lança Elisheva.

Adam s'assit à côté de son fils ainé alors que le cadet retournait à ses Lego.

— L'enfant Prodigue, Voltaire, mille sept cent trente-six, commença Salomon,

À mon avis, l'hymen et ses liens
Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
Point de milieu ; l'état du mariage
Est des humains le plus cher avantage,
Quand le rapport des esprits et des cœurs,
Des sentiments, des goûts, et des humeurs,
Serre ces nœuds tissus par la nature,
Que l'amour forme et que l'honneur épure.
Dieux ! quel plaisir d'aimer publiquement,
Et de porter le nom de son amant !
Votre maison, vos gens, votre livrée,
Tout vous retrace une image adorée ;
Et vos enfants, ces gages précieux,
Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds.
Un tel hymen, une union si chère,

— Attends, attends, attends, le coupa Adam, c'est quoi ton poème là ? Depuis quand en CE1 on vous fait apprendre des poèmes où ils répètent hymen toutes les deux minutes.

— C'est moi qui l'ai choisi, dit fièrement Salomon.

Adam lança un regard interrogatif à Elisheva.

— La maitresse leur a dit de choisir un poème parmi ceux qu'il avait étudié, ou un autre, s'ils en connaissaient.

Adam hocha la tête avant de dire à son fils.

— Tu veux pas réciter le Corbeau et le Renard, plutôt.

— C'est trop facile, fit Salomon, et celui-là il est plus joli, ça parle d'amour.

Adam leva les yeux au ciel.

— Tu l'as trouvé où ton poème ?

— Là-dedans, répondit Salomon en lui tendant un livre intitulé « Anthologie de la poésie Française ».

— Et t'as trouvé ça où ? Le questionna à nouveau Adam.

— C'est à moi, lança Elisheva.

Adam hocha la tête en inspectant le livre sous toutes les coutures. Il se dit que Salomon ferait mieux de regarder Bob l'éponge plutôt que de lire de la poésie. Il ouvrit le livre à la page du poème choisi par Salomon et le parcouru silencieusement en fronçant les sourcils.

— Chéri, fit-il à Salomon, tu ne peux pas dire un poème comme ça a l'école.

— Pourquoi ? répliqua Elisheva.

— Sérieux Eli, tu l'as lu ? Un tel hymen, cita Adam, on est pas loin des soixante-douze vierges, là.

— Ça a été écrit par Voltaire, et en vieux Français, l'hymen, c'est le mariage, pas... autre chose, l'informa Elisheva.

— Autre chose ? demanda Salomon.

Elisheva et Adam se regardèrent. Salomon se leva et traversa le salon jusqu'au rayonnage de la bibliothèque qui courait sur un pan de mur. Il en revint avec un dictionnaire.

— Hymen, fit-il, H, Y.

— Non, non, lança Adam.

Mais Salomon avait déjà trouvé le mot et lu la définition à voix haute.

— Nom masculin, du bas latin hymen, du grec humên, -enos, membrane, membrane qui sépare le vagin de la vulve et qui se rompt lors des premiers rapports sexuels. C'est quoi vagin et vulve ? demanda-t-il.

— Euh, bafouilla Adam.

Puis voyant que Salomon allait chercher dans le dictionnaire, il le lui prit des mains.

— Mais, fit l'enfant.

— Pourquoi tu lui prends le dictionnaire ? demanda Elisheva.

— C'est le Larousse illustré, fit-il.

— Alors c'est quoi vagin ? s'impatienta Salomon.

Il s'aperçut que son père tressaillait à chaque fois qu'il prononçait ce mot.

— C'est rien, bafouilla Adam.

— C'est pas rien si c'est dans le dictionnaire, fit remarquer Salomon.

Adam soupira.

— On mange non ? Lança-t-il à Elisheva.

— C'est pas tout à fait prêt, répondit-elle.

Adam soupira à nouveau, il n'avait aucune envie d'expliquer des mots de ce genre à son fils de six ans. Salomon rangea son cahier avant d'en sortir un autre de son cartable.

— Ah maman, s'écria-t-il en brandissant une feuille de papier, tu peux signer ça ?

— Pourquoi Maman ? demanda Adam à son fils, c'est moi l'homme, c'est moi qui signe.

Il attrapa le papier et lu à voix haute.

— Alors, Madame, Monsieur, j'ai le plaisir de vous informer que la classe fréquentée par votre enfant se rendra à piscine le gna gna gna...

— Tu signes pas ? demanda Salomon en lui tendant un stylo.

Adam releva la tête.

— Chéri, il faut toujours tout lire avant de signer, sinon tu te fais baiser.

— Ça veut dire quoi baiser ?

— Euh, fit Adam.

— Je peux regarder dans le dictionnaire ? proposa Salomon.

— Non, fit Adam en reprenant sa lecture, l'entrée de la piscine est intégralement financée par la commune. Tu sais ce que ça veut dire, ça, Salomon ?

Il secoua la tête.

— Que c'est gratuit ?

Adam pouffa.

— Mon fils, rien n'est jamais gratuit dans la vie, saches le. Si tu ne paye pas un truc quand tu l'as, c'est que tu le paye à un autre moment, et une blinde en général.

Salomon hocha docilement la tête, son père poursuivit.

— Ça veut dire que nos impôts servent à envoyer les gosses à la piscine sans que leurs crevards de parents n'aient besoin de payer l'entrée. Tu c'est ce que c'est, les impôts, Salomon ?

— Du racket organisé, répondit l'enfant.

Adam afficha un grand sourire alors qu'Elisheva levait les yeux au ciel.

— Je l'adore ce gosse, lança-t-il à sa femme.

— Tu ne devrais pas dire ça à un enfant de six ans, dit-elle, s'il commence à le répéter à l'école. Déjà que la maitresse de Seth m'a fait la morale à cause de son langage.

Adam soupira.

— Putain de fonctionnaires, lança-t-il.

— Putain, hurla Seth depuis le salon.

La Race du Pouvoir [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant