Chapitre 26

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Jose Marietti retrouva Karl dans le parking souterrain des locaux de la Gazette d'Azur, à l'abris des regards indiscrets. Le journaliste s'installa sur le siège passager de la Mercedes du maire.

— Salut José, lança Karl en lui serrant la main.

Le maire répondit du bout des lèvres. Il tapotait nerveusement le volant recouvert de cuir.

— Tu voulais me parler ?

Karl hocha la tête, il avait longuement hésité avant de téléphoner à Marietti. Jouer les oiseaux de mauvaise augures ne l'enthousiasmait pas.

— Une de mes journalistes est venue me voir, on lui transmis des infos sur Benassya, ça sent pas bon toi, José.

— Qui ça, on ? l'interrogea Marietti.

— D'après ce que j'ai compris, elle a reçu un coup de fil, le type prétendait que Benassya avait menacé les gitans. Elle est allée vérifier et les manouches ont confirmé.

— Putain, lâcha Marietti.

Karl hocha la tête, il y n'y avait rien de bon dans cette histoire.

— Si l'info sort, t'es...

— Mort, termina Marietti, je sais. C'est qui ta journaliste ? La petite Laura ?

Karl hésita, il n'avait aucune envie d'attirer des problèmes à Jade. Il se dit que tout aurait été tellement plus simple si c'était Laura qui avait reçu ce coup de fil.

— Jade Marchand, dit-il finalement.

Le maire secoua vaguement la tête, il ne voyait pas qui c'était.

— Tu lui as dit quoi ?

— De m'enterrer cette merde bien profond, répondit Karl, mais...

— Mais ? s'impatienta le maire.

Karl avala difficilement sa salive.

— C'est pas Laura, elle ne porte pas vraiment ta liste dans son cœur.

— Combien elle veut ? demanda Marietti.

Karl ne put retenir un rire nerveux. Proposer de l'argent à Jade pour qu'elle se taise était la dernier des choses à faire.

— Ca, c'est pas une bonne idée...

— Tu la connais bien ? demanda Jose.

Karl hocha sobrement la tête.

— Tu te la tape ? demanda distraitement Marietti.

Karl sourit imperceptiblement mais le maire eut le temps de le remarquer.

— Alors emmène la en weekend, sors-lui le grand jeu, Venise, les roses, toutes les conneries qu'aiment les gonzesses, et fais-lui oublier cette histoire, ordonna Marietti. Ne m'oblige pas à devoir appeler ton ex beau papa à Beyrouth et lui demander de me rendre le fric que j'ai investis dans votre canard.

Karl avala une nouvelle fois difficilement sa salive. Quinze ans plus tôt il avait rencontre sa femme, une sublime brune, riche fille à papa d'une famille d'intellectuels de Beyrouth qui faisait ses études en France. Lui travaillait comme chroniqueur dans une minable feuille de choux de province. Ils s'étaient mariés et beau papa, en cadeau de noces, avait offert à Karl un journal digne de ce nom, la Gazette d'Azur. Mais au bout de cinq ans, la fortune prétendument inépuisable du Libanais avait commencé à montrer des signes de faiblesses, et Karl avait dû se résoudre à trouver des investisseurs d'envergure. Une vieille connaissance, patron de bar et de restaurant de la région, s'était montre intéressée. Marietti commençait à devenir un politicien connu dans la région, investir dans l'un des journaux les plus lu du secteur lui semblait un bon placement, pas pour les dividendes, mais pour la sécurité médiatique que cela lui conférait en cas de crise. Ça avait toujours été un accord tacite entre eux.

— T'auras pas besoin de faire ça, répondit Karl.

— J'espère bien, il me semble que le Kefta n'a pas trop apprécié comment ça s'est terminé avec sa fille.

Karl hocha la tête, il n'avait aucune envie d'avoir à faire à son ex belle famille.

***

Jade avait finalement accepté de prendre un verre avec Anthony. Mais si elle le rejoignait au Cuba Libre, ce mercredi soir, ce n'était pas pour lui faire les yeux doux, du moins, pas consciemment. Jade voulait son avis sur cette histoire d'incendie. Toute la ville savait que c'était criminel, chacun y allait de ses suppositions, Lefevre ne devait pas être diffèrent des autres à ce niveau-là. Tous les politiciens locaux avaient utilisé ce drame pour blâmer leurs adversaires. Enfin, c'était surtout Marietti et sa liste qui en prenait plein la gueule, se dit Jade. Normal, s'ils sautaient, chacun pouvait prétendre à diriger la ville, et leurs adversaires se voyaient déjà Calife à la place du Calife...

Quand Jade poussa la lourde porte du Cuba Libre, elle aperçut Anthony, au bar, qui discutait avec la serveuse. Jennifer, se dit-elle. Elle se souvenait maintenant de cette fille aux cheveux rouges qui trainait avec Anthony au lycée, elle se rappelait aussi un blond et un Maghrébin, mais elle avait oublié leurs noms.

Anthony se retourna en entendant la porte s'ouvrir. Il sourit en apercevant Jade. Il l'entraina à la même table qu'ils avaient occupée lors de l'interview. Il déposa deux pressions sur la table et planta ses yeux dans le regard de Jade.

— On trinque d'abord ou vous me faite lire votre article avant ?

Jade sourit.

— Vous aviez parlé d'un verre, fit-elle, pas de l'avant-première de mon article.

Anthony hocha la tête, il attrapa son verre de bière et lança.

— On trinque alors.

Leurs verres s'entrechoquèrent. Derrière le bar, Jennifer les observait du coin de l'œil. Antho allait se mettre dans la merde, pensait-elle, à quoi jouait-il avec cette fille, une journaliste de la Gazette d'Azur en plus ? Le journal des nantis et du patronat qui couvrait tous les évènements mondains de la région, tournois golf ou de tennis, concours hippique, vernissage d'art moderne et tutti quanti. En essuyant négligemment un verre, Jennifer se dit qu'Anthony avait une faiblesse, la pire que l'on puisse avoir en politique, surtout quand on dirigeait une liste d'obédience communiste, il aimait trop les poupées Barbie.

— Que pensez-vous de cette récupération politique autour de l'incendie du camps des gitans ? demanda Jade après avoir bu une gorgée de bière.

Anthony sourit, se laissant aller en arrière sur l'inconfortable chaise du bar.

— C'est une interview ?

Jade secoua la tête.

— On peut discuter.

— Si vous écrivez un article après ça ne s'appelle pas discuter.

— Vous ne voulez pas que l'on parle de vous dans les journaux ? lança Jade.

Anthony pouffa, il ne s'était jamais avoue que la célébrité l'attirait.

— Je ne suis pas Benassya, moi, et il ne faut pas croire ce que dise les journaux.

— Personne n'a dit que vous étiez un héros, répliqua Jade avec un clin d'œil.

Anthony sourit de plus belle, cette journaliste lui plaisait de plus en plus.

— Qu'est-ce que vous avez contre Benassya ? demanda Jade.

Anthony léger échapper un léger gloussement en hochant la tête.

— Benassya et moi c'est pas personnel, c'est uniquement les affaires.

Jade sourit.

— Le parrain, releva-t-elle, vous êtes Italien ?

— Pas du tout.

— Ca tombe bien, je ne vous imaginais pas en mafiosi, lança-t-elle.

Anthony sourit, il consulta discrètement son portable pose sur la table qui venait d'émettre une légère vibration. Un texto. De Jennifer.

« En Sicile les femmes sont plus dangereuses que les coups de fusils. »

La Race du Pouvoir [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant