intra munos

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— ça pue, ici.

ivy la bonne fée débarque au salon pour ouvrir le balcon. l'air froid ne tarde pas à mordre mes extrémités découvertes. j'ai mal dormi. de toute façon sur son clic-clac, c'est impossible de bien dormir. Il est dur, je sens les ressors me crever le dos et il est tellement pété qu'il ne s'ouvre plus. rien que pour ça j'aimerais pécho le patron le bultex.

— kam, lèves toi il est treize heures.

je lui offre mon majeur pour toute réponse et m'emmitoufle sous la couette. j'aime plus quand il fait jour depuis que je suis rentrée. j'ai l'impression d'avoir des obligations et des responsabilités qui s'envolent une fois que le ciel s'assombrit. du coup je me surprends à attendre le soir, comme si c'était l'évènement de la journée.

— j'vais pas rire avec toi, tu te lèves et tu vas déposer des cv. je t'en ai imprimé une vingtaine, tu vas à bercy tu-

— vas y ivy chauffe pas mon crâne, je la coupe en me redressant.

elle louche sur la clope que j'allume, le regard vague. je lui jette mon paquet à la gueule, je connais trop bien ce regard.

— t'as besoin de la voiture ? je reprends, pour changer de sujet.

elle hausse les sourcils puis hoche la tête négativement.

— faut faire le plein.

— tant pis j'irai à pieds.

elle retire son manteau et soupire longuement.

— tu comptais y aller en voiture ? c'est à côté meuf, t'es dans l'excès.

— aller où ? je demande entre deux taffes.

— à bercy ?

— j'parlais pas d'aller à bercy.

— ah ouais ? tu vas déposer tes cv où alors ?

je souffle du nez. elle fait trop rire ivy. elle croit que parce qu'elle dicte les trucs de façon à peu près autoritaire on va les faire. je l'adore cette meuf sauf quand elle se prend pour ma mère. en soi je lui en veut pas, peut-être que si les rôles étaient inversés j'aurais été pareil.

j'aurais sûrement voulu qu'elle se relève.

devant mon silence, elle marmonne et s'enferme dans sa chambre un bon quart d'heure ce qui me laisse le temps d'émerger tranquille. quand elle en sort, j'ai changé de t-shirt, brossé mes dents et attaché mes cheveux comme un samouraï qui a vécu la guerre d'indochine.

je conçois qu'il y a plus sexy mais mon apparence ces derniers temps c'est le cadet de mes soucis.

j'attrape la pile de feuilles pour lui faire plaisir et les fourre dans mon sac à la-va-vite quand je quitte l'appart.

— marlboro cent s, s'il vous plaît.

il répète ma demande et me tend le paquet après s'être emparé du billet rouge. les buralistes adorent faire la liaison avec le « cent » et le « s » alors qu'il n'y a pas de « s » à cent. ils le font tous, pourtant. c'est complètement absurde.

ce qui est bien quand on est absent c'est que rien ne nous atteint.

je me suis fait bousculer à la sortie du tabac par un connard qui s'est même pas retourné. en temps normal je lui aurais insulté sa mère la pute mais la j'ai laissé couler. j'ai observé un gars jeter son emballage plastique par terre, un autre, insulter sa meuf et j'ai réussi à regarder un enfant chialer sans lui souhaiter de perdre sa langue.

tout va bien dans le meilleur des mondes.

mais le temps passe lentement. il est quinze heures à ma montre et je me demande ce que je vais bien pouvoir faire pour tuer le temps.

hier j'étais au parc, c'est chiant faut déguerpir à partir de seize heures pour éviter la débandade de marmots qui bavent.

avant hier j'suis allée voir la tour eiffel mais c'est plus ce que c'était, j'ai vite fait sympathisé avec un mec avant de me rendre compte qu'il voulait juste me vendre sa babiole miniature.

j'suis partie au musée aussi, mais ça ma gavé les gens qui veulent à tout prix étaler leur science. j'ai fini par comprendre que ceux qui parlent trop devant une oeuvre sont ceux qui n'ont pas compris son but.

en vérité je me rends compte que ivy a tout faux, j'ai fait énormément de trucs depuis que je suis à paris. elle ne m'a pas manqué cette ville mais quelques fois je retrouve des bribes de mon ancienne vie, à certains endroits.

et j'ai soudainement l'impression de revivre.

ShinkūOù les histoires vivent. Découvrez maintenant