c'est la première fois que je suis tendue en présence d'un mec. peut-être que la circonstance y joue pour beaucoup...
on est face à face dans une pizzeria et je lutte contre moi même pour ne pas baisser le regard. mais il m'intimide.
même si je sais qu'il me plaît, j'ai pas la certitude que ce soit réciproque. et franchement je comprendrais. je suis un peu trop ghetto comme meuf, ça passe ou ça casse généralement.
— alors ? demande-t-il quand je goûte ma première part de pizza que je me force à couper avec mes couverts.
— top, dis-je la bouche pleine.
putain, kami.
le savoir vivre, so comment ?
— grave bon, je reprends en m'essuyant avec ma serviette. Goûtes ?
il accepte et se sert dans mon assiette puis enfourche son morceau, ses yeux dans les miens.
niveau eye contact, on est biens.
— bon kami, faut que je sache un truc...
je sens mon rythme cardiaque s'accélérer comme s'il faisait un grec basket. je tâche de rester détachée et l'interroge d'un simple mouvement de sourcil.
— pourquoi t'es là ? demande-t-il.
devant mon air perplexe que je ne cache pas cette fois, il reprend.
— nan j'veux dire... tu reviens de loin, t'avais une vraie carrière, qu'est-ce que tu fous ici, tu vois ? pourquoi t'as postulé à ce job ?
j'avale ma bouchée et attrape ma canette pour me donner un temps de réflexion parce qu'en réalité, je ne sais pas quoi répondre. il l'a compris.
— tu fais du bon taf hein, c'est pas le souci mais regardes, comment une meuf avec un CV en béton armé peut se contenter d'un simple poste de vendeuse ?
je m'appuie sur le dossier de ma chaise et je le jauge du regard.
— si telle est ta réflexion pourquoi tu m'as embauchée ?
silence.
j'ai peut-être pas fait HEC mais j'ai un bac +5 en esquive. on se regarde sans parler. il a ressenti la pointe de défi dans ma voix.
et ma question n'est pas anodine, sa réponse en dira sûrement long sur la suite des événements.
— je t'ai embauchée parce que j'ai aimé ta remarque sur mes chaussures, dit-il.
— c'est tout ?
il sourit.
je laisse tomber les couverts et mange ma part de pizza à la main cette fois.
— ok, tu veux vraiment savoir ?
j'hoche lentement la tête et souris à mon tour.
vas y, dis le chacal.
— parce que... tu m'as plu.
ça fait du bien à l'égo. néanmoins je reste neutre et je le laisse continuer sa tirade. monsieur a l'air bien lancé.
— tu m'as plu physiquement et dans ta façon d'être. t'es pas conventionnelle, tu vois. j'aime ça.
je mâche ma bouchée et prie pour qu'il continue.
— j'ai senti direct qu'on allait s'entendre tu vois, on se ressemble, on a les mêmes délires...
— c'est vraiment ce que tu penses ? je demande.
je suis au bord des larmes. vive les règles.
— ouais, clairement. tu me plais de ouf, kamiya.
mon regard dévie machinalement vers mon jogging du manchester. j'aurais au moins pu faire un effort pour notre premier baiser, putain.
tu t'emballes, tu t'emballes...
en vrai je ne sais même pas quoi répondre. hormis le fait que ce soit réciproque. mais faut savoir se faire désirer des fois...
en plus c'est mon responsable, ce serait archi pas raisonnable. ça va tout compliquer au boulot, et j'essaye d'avoir une situation stable, c'est pas le moment pour qu'on me vire.
il est trop soin pour qu'il me passe sous le nez.
je le trouvais déjà attirant mais avec tout ce qu'il m'a dit, tout est décuplé. mes émotions, mon attirance... elle casse la tête dame nature.
de toute façon dans l'immédiat, je peux rien faire du tout. on en reparle avec ma conscience demain ou après demain. puis à moi ça me laisse le temps de me décider.
même si mon choix est quasiment fait.