𝟶𝟷. 𝙿𝙰𝚂𝚃 〣𝚀𝚞𝚊𝚗𝚍 𝚈𝚘𝚘𝚗𝚐𝚒 𝚛𝚎𝚗𝚌𝚘𝚗𝚝𝚛𝚎 𝚃𝚊𝚎𝚑𝚢𝚞𝚗𝚐

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Décembre.

L'hiver à Séoul était encore pire que ce qu'il laissait penser. Mordant, glacial, le vent n'en faisait qu'à sa tête et le jeune homme avait bien cru perdre le bout de son nez rien qu'en refermant la porte de son minuscule appartement. Un bruit sonore lui indiqua que la porte de chez lui était bien fermée à clef, et il rangea son trousseau dans le sac en bandoulière qu'il portait ce jour-là. Il déplia sa canne blanche, et se dirigea machinalement vers l'unique ascenseur de son immeuble. 

La vie de Taehyung n'était pas triste. Elle était en noir et blanc, oui. Elle n'était pas nette, oui. Il était incapable de distinguer correctement un visage de près comme de loin. Il devait vivre avec une tonne d'objets spécialisés qui lui avaient tous coûté très cher, mais qui facilitaient grandement son quotidien. Il ne se séparait jamais de sa canne blanche télescopique. Et par-dessus tout, il ne les voyait pas, mais il le sentait, le regard des gens sur sa personne, qui étaient toujours plein de pitié. Pourtant, Taehyung souriait. Toujours. Il n'avait jamais pu voir les couleurs, voir correctement, et ne verrait jamais. Une fois cette dure réalité acceptée, alors qu'il n'était qu'adolescent, il avait cessé de se morfondre. En contrepartie, son ouïe était excellente. Et avec le temps, de la patience, et l'aide de son meilleur ami, il avait appris tellement par le toucher. Il se repérait sans mal dans son appartement, dans son quartier. Les difficultés survenaient lorsqu'il voyageait un peu trop loin de chez lui. 

Taehyung s'était tourné vers la musique. Le piano, pour être plus précis. C'était son professeur spécialisé, au lycée, qui lui avait fait découvrir l'instrument. Il avait appris à se repérer, la mécanique de l'instrument. Il trouvait son son mélodieux, parfait. Et Taehyung était devenu accro ; aujourd'hui, son rêve était de devenir pianiste professionnel. Il suivait des cours à la faculté, et se donnait à fond dedans. Tout n'avait pas été simple au départ, mais avec une conviction de fer et un bon accompagnement, il faisait partie aujourd'hui des meilleurs. Jouer du piano était devenu un besoin, et cela rythmait aussi son quotidien.

Il marchait donc d'un pas plutôt pressé, prenant garde à ne pas heurter les habitants de Séoul, eux aussi poussé par le temps en ce matin de décembre. Avec plaisir il bifurqua dans les rues plus calmes de la capitale, celles délaissées par les travailleurs pressés car elles rallongeait leur chemin. Souvent il regrettait de ne pouvoir écouter de la musique en marchant : se priver de l'ouïe était risqué. Et il était sans doute trop rêveur ce matin, car pour la première fois depuis très longtemps, il baissa sa garde. Et entra de plein fouet dans quelqu'un, sortit trop vite d'un bâtiment à sa gauche. Il ne l'avait pas aperçu, sa canne non plus et tomba sur les fesses, complètement sonné. Il sentit sa canne rouler loin de lui et ouvrit de grands yeux paniqués. Rapidement, il tâta le sol à la recherche de son précieux outil, tandis que la masse sombre devant lui se redressait. Il distingua la personne en face de lui, se grattant la tête (ou le dos?) et entendis un grognement s'échapper de sa bouche.

– Putain, regarde où tu vas...

– Je... pardon, je...

Et sans un autre mot, il le vit s'éloigner. Toujours à quatre pattes, Taehyung tapota le sol, confus, perdu. Combien de fois Jimin lui avait dit de mettre la dragonne de sa canne autour de son poignet quand il sortait ? Il se mordit là les lèvres, agacé par son propre oubli. Où était-elle bon sang ? Il prit son courage à deux mains et se redressa, toujours sur ses genoux et leva une main en direction de l'inconnu qui s'éloignait.

– Pardon, monsieur !

Il était toujours là, à quelques mètres, il le distinguait encore.

– Pardon j'ai... j'ai perdu ma canne et je euh...

COULEURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant