Chapitre 3

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J’arrivais tôt à la librairie. Le samedi était généralement une journée assez chargée. Les clients venaient chercher leur commande de la semaine, d’autres achetaient de quoi passer le dimanche à venir, la météo encore fraîche et pluvieuse ces derniers temps ne se prêtait pas aux activités extérieures. Des mamans commandaient des ouvrages bien particuliers demandés par les professeurs. Et d’autres entraient simplement pour le plaisir des livres, sans but précis.

Je ne pouvais pas dire que ma nuit avait été réparatrice. La première partie, je l’avais passée à m’interroger sur ce médecin, aux antipodes de l’image que j’avais généralement de ceux exerçant cette profession. La seconde partie de la nuit, la douleur était revenue. Je n’étais pas du genre à tester mes limites, mais cette nuit, j’avais laissé cette douleur m’envahir. Elle était rassurante, car depuis deux ans, c’était la première fois que je pouvais la localiser. D’habitude, la douleur que je ressentais était diffuse, impalpable, et se répandait dans tout mon corps. Sans point précis, je ne pouvais la soulager. J’avais mal partout. Sauf cette nuit. Et paradoxalement, cela m’avait fait un bien fou…

Je déballai les premiers cartons dans l’arrière-boutique quand le carillon retentit. Et il était à peine 8 h 30… Je criai à travers la librairie que j’arrivais. Pas très pro, mais le maniement du cutter avec une main gauche malhabile me demandait un gros effort. Il me coûtait d’avance de devoir reprendre depuis le début quand le client serait reparti. Sauf que les pas se rapprochaient.

J’abandonnai à contrecœur mon carton et me redressai, ne comprenant pas l’impatience de certaines personnes. Sous l’effet de surprise, mon cutter m’échappa des mains lorsqu’en me retournant je me retrouvai face au médecin dont la haute silhouette occupait l’encadrement de la porte.

Même tenue que la veille. Seul le t-shirt, toujours noir, n’était pas uni, mais portait une inscription. Il dégageait une autorité naturelle, son visage revêtant le même masque d’impassibilité. Derrière celui-ci, j’avais eu l’occasion de constater la veille au soir qu’il pouvait aussi montrer un autre visage. Mais je soupçonnais que ce dernier était destiné à un nombre très réduit de personnes. À la lumière naturelle, ses yeux étaient d’un bleu beaucoup plus soutenu que je le pensais, presque marine. Sans réfléchir, les miens se posèrent sur son bras droit, jusqu’à ce que je prenne conscience de l’absurdité de mon geste. Ce que me confirma le haussement de sourcils de mon visiteur lorsque je relevai les yeux.

— Je… bonjour. J’arrive tout de suite.

Il marmonna un vague bonjour avant de se baisser pour ramasser mon cutter et le jucher sur une étagère. Sans me demander, il déposa son sac à dos sur la petite table, puis tira une chaise, m’invitant silencieusement à m’asseoir. Cette fois, je ne me trouvais pas en terrain hostile, mais chez moi. Je restai debout, attendant qu’il prononce au moins un mot et annonce son intention.

— Je dois refaire votre vaccin contre le tétanos, expliqua-t-il enfin.

— La maladie de Jésus ? répondis-je surprise.

— Pardon ?

— Non, rien. Désolée…

— Votre vaccin n’est plus à jour. Je souhaitais le faire hier au cabinet, mais je n’en avais plus en réserve. Je reviens de la pharmacie.

Je le regardai maintenant avec étonnement, surprise par son geste.

— Ce type de blessure, continua-t-il en désignant ma main, n’est pas anodine. Maintenant, si vous voulez bien vous asseoir et retirer votre gilet, qu’on en finisse.

Je m’exécutai et il retroussa mon t-shirt sur l’épaule, dégageant ainsi le haut de mon bras.

— Comment va votre main ? demanda-t-il tout en désinfectant mon bras à l’aide d’un carré de gaze.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant