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D’autorité, il me fit asseoir sur le canapé, et me recouvrit avec la couverture d’appoint que je laissais en permanence à portée de main. Je me déchaussai, puis me recroquevillai et m’emmitouflai. J’avais toujours le corps secoué de tremblements et me demandais si j’arriverais un jour à me réchauffer tant le froid qui m’habitait semblait s’être insinué au plus profond de mon être… de mon âme. Je fermai les yeux et reposai la tête contre le dossier. Les bruits venant de la cuisine avaient quelque chose d’irréel. Des placards que l’on ouvrait, des tiroirs que l’on tirait, l’eau qui coulait. Des bruits qui ne faisaient pas partie, plus partie, de mon quotidien. Sauf lorsque Jo faisait son entrée ou que mes parents venaient me voir. Ici, il ne s’agissait ni de l’un ni de l’autre. C’était nouveau et, étonnamment, cette nouveauté me rassurait et m’arracha même un sourire lorsque je pensais à l’improbabilité de la situation si elle s’était produite trois semaines auparavant.

Lorsque je rouvris les yeux, Raphaël se tenait devant moi, une tasse fumante à la main que je soupçonnais être une tisane. À quoi ? Je n’en savais rien.

— Menthe poivrée, me confirma-t-il. Je n’ai rien trouvé de plus fort, mais ça devrait au moins vous réchauffer.

— Merci. Je n’ai pas d’alcool de toute façon. Je n’en bois pas, précisai-je en portant la tasse à mes lèvres.

— Depuis plus de deux ans, j’imagine.

Mon silence fut sa réponse et je plongeai de nouveau mes lèvres vers ma tasse face à son reproche à peine camouflé. Et il était clair que ce n’était pas mon refus à boire un peu d’alcool qui posait problème. Il prit place à mes côtés. Je sentis son regard sur moi et je ne trouvais d’autre parade que fixer ma tasse.

— Vous avez donc décidé d’arrêter de vivre il y a deux ans.

Ses mots furent comme une lame glacée qui s’enfonça encore plus profondément dans ma chair. Je relevai les yeux, bien déterminée à ne pas flancher malgré la véracité de ses propos.

— Non, je vis, le contredis-je.

— Vous survivez. Moi, je vous parle de vivre, Émilie. Et non de perpétuer ces rituels qui ne font que vous empêcher d’avancer.

Je me redressai et posai ma tasse sur la table basse.

— Vous avez vu comme moi où cela mène lorsque l’on a la prétention de penser que rien ne peut vous arriver.

— Manger à la même table chaque semaine, ou passer des heures sur une pierre tombale. Vous appelez ça vivre ?

Je me figeai, ses mots me tétanisèrent.

— Est-ce qu’au moins cela vous apporte quelque chose ?

— Ça me fait du bien, avouai-je doucement.

Il se redressa également, et je relevai les yeux pour pouvoir accrocher les siens. Ses doigts repoussèrent une mèche de mon front, comme il l’avait fait plus tôt dans le restaurant. Je m’autorisai un moment de faiblesse et reposai ma tête contre sa poitrine. Ses bras m’entourèrent les épaules et doucement, il se réinstalla dans le sofa, m’entraînant avec lui. Je me laissai aller, profitant de son geste réconfortant, de ce moment simple ou je pouvais me débarrasser des dernières tensions, des mots de Valérie, des vérités de Raphaël, de mes démons, de mes fantômes. Apprécier le plaisir simple d’être prise dans des bras. Les derniers bras masculins qui m’avaient ainsi serrée avaient été ceux de mon père.

— C’est un faux sentiment de sécurité.

— Je sais.

— Cela ne fera pas revenir votre famille.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant