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Onze mois plus tard.

Tout était prêt. Enfin en place. Chaque livre avait trouvé son emplacement. Le déménagement avait été éprouvant. Transporter des livres pouvait être comparé à balader des briques. Les travaux avaient débuté relativement vite. Le fait de connaître les entrepreneurs y était pour beaucoup, et je devais admettre que j’appréciais ce genre d’avantages.

J’observai en silence ce nouveau chez-moi, empreint de tant de souvenirs alors que la librairie n’ouvrirait officiellement que dans quelques heures. Les souvenirs étaient autres. Ils renfermaient la vie de Mado, Jo, Pierre. La mienne ou partie, également. Et puis, toutes ces personnes qui y étaient venues manger, boire un café. Simplement parler. Un lieu qui ne sentait pas uniquement le papier et le bois. Il était imprégné d’odeurs du passé, d’histoires. Et en regardant comment je l’avais transformé, je ne regrettais pas un seul instant. Je n’avais pas été seule pour concrétiser ce projet. Mes parents, mes amis, Mado et Jo. Et bien sûr, Raphaël. Il avait été présent à chaque phase de ce projet, m’avait conseillée, orientée, dissuadée parfois. Tempérée aussi face à mes élans d’optimisme. Mais finalement, tout s’était imbriqué à la perfection et nous avions fini dans les temps. Exténués, mais en ayant respecté l’échéancier.

Paul, l’ébéniste avait fait un travail remarquable. Je souhaitais conserver le même esprit que dans l’ancienne librairie, toute faite de bois. Il avait récupéré les anciens rayonnages, les avait ajustés pour certains. En avait aussi conçus de nouveaux. Un joli parquet en chêne avait été posé et j’adorais retrouver tous ces effluves familiers de bois, de papier qui se mélangeaient à celui plus improbable du café. Le coin enfant avait évidemment été conservé, et surtout agrandi.

Dos à la porte, je lançai un regard sur ma gauche pour sentir un franc sourire sur mes lèvres. L’idée de Raphaël avait été totalement fantasque, mais elle restait la meilleure. Le bar et la machine à café avaient été conservés. Nous avions converti cette petite partie de la librairie pour une utilisation complètement nouvelle pour moi. Un coin spécialement dédié au cross booking, qui apportait un vent nouveau à la librairie. Pour cet espace, j’avais conservé au sol les magnifiques carreaux de ciment d’origine du restaurant dans les tons bleus. Les bouteilles d’alcool avaient été remplacées par des livres d’occasion que les anonymes, ou non, pouvaient maintenant déposer ou prendre selon leur envie. On ne venait plus seulement dans la librairie pour acheter du neuf. On pouvait profiter des quelques tables et chaises ayant appartenu au restaurant pour boire un café tout en empruntant un des livres disponibles. Ils avaient une seconde vie. Une seconde chance.

Et quelque part, je leur ressemblais un peu. Lorsque Pierre était mort, j’étais morte avec lui. Je l’avais cru tout du moins. Un homme m’avait ouvert les yeux. J’étais en mille morceaux, et petit à petit il était parvenu à rassembler tous les morceaux et me donner l’envie de vivre à nouveau. Nous avions parfaitement conscience tous les deux que jamais je ne retrouverais tous les fragments de moi. Ils avaient été éparpillés avec beaucoup trop de force quand je m’étais brisée une seconde fois à la mort de Jeanne. Certains morceaux s’étaient perdus. Et ceux-là, nous ne parviendrons jamais à les rassembler. Et je ne souhaitais en aucun cas les remplacer par d’autres. Mais j’avais appris que je pouvais vivre sans. Sans eux. Sans qu’ils me manquent à m’en faire mal. Et ceci, je le devais à un seul homme. Le plus improbable des hommes.

Et aujourd’hui, tout était en place pour l’inauguration. La librairie serait bientôt remplie par mes amis, ceux de Raphaël, principalement des médecins, qui étaient étrangement devenus les miens, ainsi que toutes ces personnes qui avaient cru en moi. En nous. Corinne serait là avec Antoine et Maxime. Je me réjouissais de les retrouver. Seule Valérie serait absente. Nos relations déjà tendues s’étaient encore un peu plus dégradées. Je le regrettais, mais je n’avais pas envie de me battre. Je ne pouvais rien faire contre sa colère. Si elle souhaitait vaincre son ressentiment à mon égard, il fallait que cela vienne d’elle. Je l’avais appris avec le temps. Le désir d’avancer devait émaner de nous. On devait non seulement se convaincre que c’était une bonne chose, mais surtout y croire. Et Valérie ne semblait pas prête à franchir le pas… et je la comprenais.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant