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Je me sentais nerveuse. Anormalement nerveuse. Je tournais en rond dans le salon. Prenais un magazine, le reposais. Regardais par la fenêtre toutes les deux secondes. Sursautais dès qu’un petit bruit venait perturber le silence de ce début de soirée. Observais mon reflet dans le miroir de l’entrée, me rassurais par l’image qu’il me renvoyait. J’avais rassemblé mes cheveux en un chignon bas, libérant quelques mèches blondes. Un léger maquillage pour souligner le vert de mes yeux et appliqué un rouge à lèvres rose pâle. J’avais passé une robe jaune, légère et printanière. Je crois que l’ensemble s’accordait plutôt bien.

Je n’étais pas sortie depuis la mort de Pierre et j’avais peur de ne pas être à la hauteur, peur d’avoir oublié toutes les règles, tous les codes. Peur de flancher dès que Jérémie frapperait à ma porte. Peur de me voir me barricader dans ma chambre.

Les phares de sa voiture percèrent les fenêtres du salon. Je me levais du canapé, tendue comme un ressort. J’ouvris la porte à la volée, les mains anormalement fébriles, l’estomac se contractant. Non, décidément, je n’étais pas prête. Mais je pris sur moi et ravalai mes craintes lorsque le sourire de Jérémie s’épanouit. Je me surpris même à le lui rendre.

Il m’embrassa délicatement sur la joue. Il sentait bon la mousse à raser. J’aimais cette odeur, elle représentait une habitude dans le quotidien d’un homme, et me rassurait. Rien ne changeait finalement. Les hommes resteraient des hommes, et le jour succéderait à la nuit. C’était seulement ma perception du monde et de ce qui le constituait qui s’était modifiée. Mais elle aurait pu difficilement rester la même lorsque mon quotidien s’était brutalement stoppé.

Il avait passé un jean et portait une chemise blanche. J’étais rassurée qu’il ne m’apporte pas de fleurs. C’était tellement le genre de Jérémie. Mais je ne voulais pas transformer ce dîner en rendez-vous galant. Ce n’en était pas un et je crois que Jérémie avait saisi la différence, si subtile fût-elle.

— Tu es très élégant.

— Et toi, tu es magnifique.

Je mis un temps avant d’analyser ses mots. Cela faisait une éternité qu’un homme ne m’avait pas fait ce genre de compliment, et je me demandai si Jérémie s’adressait réellement à moi et qu’il ne s’était pas trompé de personne.

— Bon ! On y va !

— Avec plaisir, répondis-je en me ressaisissant.

— J’ai pensé que l’on pourrait essayer la nouvelle pizzeria.

— C’est une excellente idée ! Jo m’a conseillé d’y aller.

— Ah, oui ?

— Oui. Ils y sont allés avec Mado, et apparemment, ça vaut le détour.

— Alors, si Jo approuve, s’amusa à répondre Jérémie.

Jérémie m’ouvrit la portière et la referma une fois que je fus installée. J’appréciais ce geste de galanterie, il entrait dans des codes inscrits depuis longtemps, et là encore, cela me rassurait.

Le gérant nous accueillit avec chaleur. Jo avait raison, il était jeune, mais dynamique et réactif. Je lui souhaitais de tout cœur de réussir. Une petite ombre me recouvrit le visage en pensant à Mado. Elle devait lever le pied. Son visage creusé m’avait inquiété. Jo devait vraiment essayer de la convaincre d’arrêter le service du soir.

Jérémie me sortit de mes pensées en me demandant si je souhaitais un apéritif. Je déclinai. Je n’avais pas touché à une goutte d’alcool depuis que j’avais appris ma grossesse. Cela faisait deux ans et demi, et j’avais gardé cette habitude. J’avais tellement peur que tout bascule à nouveau si je changeais mes habitudes, qu’elles étaient devenues une raison de vivre depuis l’accident. Je m’y accrochais comme à une bouée de sauvetage. J’étais persuadée que si je la lâchais, je coulerais et mourrais une deuxième fois.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant