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Hier, mes petits lardons, comme aimait les appeler Margot, étaient revenus. Au nombre de trois, les vacances d’été les ayant éparpillés aux quatre coins du globe. Et ma journée avait eu cet éclat qui m’avait terriblement manqué.

Mado avait totalement récupéré. Elle était encore interdite de service, et cela la rendait folle. Mais au moins, à défaut de préserver son équilibre mental, elle s’économisait. Jérémie passait au restaurant de plus en plus souvent, et ce midi ne fit pas exception. Je m’amusais à le taquiner, sachant que la présence de Marie justifiait son attitude. Ce qu’il ne contredit pas. J’étais heureuse pour mon ami et ne me privais pas pour le lui dire. Et Margot ne se gêna pas non plus pour relever que mes joues étaient drôlement colorées ces dernières semaines. J’ignorai sa remarque, et cachai mon trouble en ronchonnant et leur préparai un café.

Avant de repartir pour la librairie, nous convenions de nous retrouver au restaurant le lendemain midi.

Ce que l’on fit.

Je rejoignis le restaurant et allai embrasser Jo en cuisine. La chaleur était étouffante, et maintenant c’était pour lui que je me faisais du souci. La restauration était un milieu difficile et exigeant. Mado et Jo avaient travaillé d’arrache-pied et peut-être devraient-ils le lever légèrement. D’autant plus que la situation de Marie était provisoire et qu’à la fin de la haute saison, ils se retrouveraient sans serveuse. J’essayai d’être la plus diplomate possible en avançant à Jo que quelques jours de congés seraient les bienvenus. À mon plus grand étonnement, il accueillit ma remarque dans un éclat de rire. Force fut de constater qu’il y avait longtemps que je ne l’avais pas vu rire et que ce dernier résonnait bien agréablement à mes oreilles.

— Tu veux que Mado me dépèce vivant dans cette cuisine ? Car c’est ce qui risque d’arriver si je lui souffle de fermer, ajouta-t-il toujours en riant.

— Pas fermer ! Non ! contestai-je alarmée. Juste prendre quelques vacances. Ou déléguer un peu plus.

— J’y pense ma puce, me rassura-t-il. Je commence à me faire vieux pour tout cela.

— Vieux, tu ne le serras jamais.

Je lui déposai une bise sur la joue et lui adressai un sourire. Non, Mado et Jo resteraient les mêmes. Généreux et dévoués. Mais certainement pas vieux. Pas encore.

— On en reparlera, répliqua-t-il facétieux. Et toi ? Des nouvelles ?

— Rien. Antoine m’a fait visiter un local, mais il ne correspond pas. Trop de travaux à prévoir encore.

Je haussai les épaules et pris un ton enjoué. Et étrangement, il ne sonnait pas si faux que je l’avais prévu.

— Il me reste du temps avant la fin. Je suis certaine que l’on va trouver.

Jo arrêta sa préparation pour me lancer un regard plein de tendresse.

— Je ne sais pas ce qui se passe, mais tu m’as l’air… heureuse. On est contents avec Mado. Ça te va bien.

Je déglutis avec peine, troublée autant que touchée par ses mots. Raphaël était à l’origine de ce bouleversement. J’aurais aimé en parler à Mado et Jo, mais j’avais tellement peur en le leur avouant de briser ce fragile bonheur. Alors je préférais le garder pour moi…

Jo m’éjecta de sa cuisine et je m’installai en terrasse. L’ambiance estivale était agréable, aussi bien visuellement que phonétiquement. Des accents, de différents régions et pays, se mêlaient les uns aux autres, donnant une cacophonie haute en couleur.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant