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Je n’avais pas rejoint notre table que le couple se leva, et Raphaël entraîna Valérie vers la sortie, une main élégamment posée dans le bas de son dos.

— Putain ! C’était quoi, ça ? s’exclama Margot la porte à peine refermée.

— Ça, quoi ? demandai-je, lasse.

— Ça ? Bah… ça, argua-t-elle en faisant un geste circulaire du poignet englobant le bar.

— Si ce n’est pas du rentre-dedans, je ne m’y connais pas, compléta Benjamin.

— Carrément, approuva Margot. Tout juste si elle ne l’a pas violé sur le bar. J’y crois pas !

Sa remarque eut le mérite de me faire rire. À moins que ce fût le soulagement de voir la conversation engagée dans ce sens et non le fait que je venais de passer plus d’un quart d’heure en compagnie d’un médecin sans avoir pris mes jambes à mon cou.

— Elle a sorti l’artillerie lourde. S’il ne se laisse pas avoir avec tous les trésors d’ingéniosité qu’elle déploie, alors je veux bien devenir nonne.

Benjamin s’étouffa tandis que je levai les yeux au ciel.

— N’oublie pas que « bébé » fait partie de l’équation, tempérai-je.

— Ouais… Sauf que je doute que « bébé » fasse le poids.

— Ton « ça », c’est du Valérie tout craché, conclus-je.

*

Les clients s’enchaînèrent, ne me laissant pas une minute. Je ne savais pas quelle mouche les avait piqués aujourd’hui, peut-être les premières chaleurs qui faisaient leur apparition, mais tout était sens dessus dessous. Je passai plus de temps à ranger, classer le désordre qu’ils provoquaient, qu’à les conseiller réellement. Ils avaient tous décidé qu’ils n’avaient pas besoin de moi en farfouillant eux-mêmes dans les rayonnages, mais leur témérité me donnait du travail supplémentaire.

Malgré la porte ouverte, je respirais mal. Trop de clients avaient brassé l’air de la librairie cet après-midi, trop de mouvements, pas assez de calme. Un calme que je ne parvenais pas à trouver bien que le silence et le vide régnaient maintenant. Je levai les yeux vers la commande de Raphaël toujours rangée sur l’étagère attendant que l’on vienne la récupérer. Et à bientôt 18 h 30, il y avait de fortes chances qu’elle y demeure jusqu’à mardi matin.

Assise en tailleur à même le sol, je classai les divers ouvrages que je devais encore ranger. Un livre resta en suspens entre deux piles. Sans le voir ni l’entendre, je sentis sa présence dans mon dos. Je fis pivoter le haut de mon corps et mes yeux tombèrent sur une paire de jeans. Je relevai lentement la tête, et après un moment qui me parut interminable, atteignis enfin son regard. Je souris lorsque je vis qu’il tenait d’une main son blouson négligemment posé sur son épaule, les manches de son t-shirt remontées juste au-dessus des coudes. Je l’observai de longues secondes, puis détaillai ses bras avec attention, et Dieu que cette vision était fascinante.

Je fis de nouveau glisser mes yeux jusqu’aux siens dont la douceur et la sérénité me troublèrent. Il me tendit une main que j’acceptai. Poser ma paume dans la sienne était étrange. Pas dérangeant, mais particulier. Il m’avait déjà touchée pour me soigner, mais n’avait jamais posé les mains sur moi de cette façon. Ni sensuelles ni séductrices. Juste particulières.

Sans peine, il m’aida à me relever. Nous nous retrouvâmes dans un face à face trop proche pour moi et je reculai prudemment sous son sourire amusé. En réponse, je singeai, avec légèreté, l’échange que nous avions eu dans sa salle d’attente quelques jours auparavant. Et visiblement, il s’en souvenait aussi.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant