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Je suivis ma mère et nous montâmes en voiture. Elle s’arrêta quelques minutes plus tard devant le dernier endroit que j’aurais imaginé. La vue était spectaculaire, la falaise balayée par les vents et le temps, là où l’horizon se perdait entre ciel et mer. On ne savait pas où commençait l’un et où se terminait l’autre. Tellement différent du lieu dans lequel j’évoluais à côté de ma mère. Entre des tombes silencieuses et la vie hurlante du vent qui s’engouffrait entre. Elle s’arrêta enfin dans une partie du cimetière que je ne connaissais pas. Mes grands-parents avaient été enterrés dans une autre. Ma mère prit la parole tellement doucement, ses mots emportés par le vent, que je les perçus à peine. Des mots doux, contenant une forme de résilience qui me serra le cœur.

— Je crois qu’il est temps pour vous de vous rencontrer…

Je baissai les yeux vers la pierre tombale, restant quelques secondes hébétée, sans saisir le sens de ce que j’y lisais. Jusqu’à ce que je décide d’ouvrir les yeux et d’accepter ce que mes parents tenaient caché depuis plus de trente-cinq ans. Je me tournai vers ma mère, les yeux remplis de larmes alors qu’elle abordait un sourire serein maintenant.

— Pourquoi vous ne m’en avez jamais parlé ? demandai-je la voix emplie d’une émotion nouvelle, s’étirant entre la tristesse et la reconnaissance.

Je reportai mon regard sur la pierre pour y lire un nom, un prénom et une vie bien trop courte. Quatre mois. Le temps que mon frère, Yann, avait passé avec mes parents.

— Parce que c’était notre douleur Lili, pas la tienne.

Je me jetai dans les bras de ma mère, étouffant un sanglot.

— Mon Dieu, maman. Je suis tellement désolée.

— Désolée de quoi, Lili ? me demanda-t-elle doucement, une main caressant mes cheveux. Personne n’est responsable de quoi que ce soit. Ni ton père ni moi. Et Dieu sait que l’on s’est sentis coupables.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé… ?

— Méningite foudroyante… Elle touche les nourrissons principalement. On est arrivés à l’hôpital, mais les dégâts étaient déjà considérables et surtout irréversibles.

Ma mère se tut un instant et je l’empêchais de poursuivre. Je ne ressentais pas le besoin d’en savoir plus et qu’elle me raconte une suite que je connaissais déjà… pour l’avoir vécue, même si les conditions étaient différentes. Et étrangement, la douleur que j’éprouvais en cet instant n’était pas dirigée vers ce frère que je n’avais jamais connu, mais vers mes parents qui avaient dû passer par des épreuves que je ne souhaitais à personne.

Perdre un enfant, c’était perdre une partie de soi. C’était perdre des projets, un avenir, des souvenirs, des moments que l’on savait que l’on ne vivrait jamais.

— Il n’y a aucune photo à la maison…

— C’était trop difficile de vivre avec. Je les ai retirées presque immédiatement après l’enterrement. Mes yeux étaient inexorablement attirés par toutes ses photos, par tous ces souvenirs.

— Je comprends.

— J’étouffais tant le silence était assourdissant. Ça a été un moment particulièrement éprouvant. Ton père et moi, on s’est même séparés quelque temps. Aucun de nous ne parvenait à gérer le manque. On s’est redonné une chance. À deux, nous avions compris que nous étions plus forts. Et puis tu es arrivée.

Elle prit ma tête entre ses mains, m’obligeant à la regarder. Un voile de tristesse recouvrait son regard, mais aussi une certaine fierté, une joie pudique.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant