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J’avais peur. Peur qu’il change d’avis et me laisse. Peur d’être à nouveau seule. Ses yeux se posèrent sur moi avec une tendresse qui me bouleversa, puis ce furent ses lèvres qui rencontrèrent les miennes avec cette même douceur. Il se détacha pour me prendre la main, m’entraînant à l’extérieur.

— Viens !

Une fois dehors, il passa d’autorité son bras autour de mes épaules en un geste possessif, alors que le mien vint naturellement encercler sa taille, et nous nous dirigeâmes vers le cabinet, étroitement pressés l’un à l’autre. Ses doigts jouaient avec les miens pour s’y entrelacer avec un naturel déconcertant. La sensation était déroutante, mais terriblement agréable. J’aimais cette promiscuité. J’aimais les regards, d’abord étonnés, puis approbateurs, des quelques personnes connues que nous croisâmes. C’était tout simplement bon d’être nous. Sans barrières, sans contraintes. Être ici même, à vivre normalement. Être aimée et protégée de cette façon annihila toutes mes angoisses.

Le cabinet se profila et nous l’atteignîmes quelques secondes plus tard. Je pensais qu’il déverrouillerait la porte, mais il n’en fit rien.

— Regarde, m’ordonna-t-il doucement.

Je suivis son regard qui se posa sur la plaque en cuivre et ne pus réprimer un sanglot. Mon Dieu ! Je devais me reprendre. Je n’allais pas pleurer toute cette sainte journée à la moindre émotion ! Et pourtant, ce que je lus était un engagement à lui tout seul.

« Docteur Raphaël Tessier. Médecine générale »

Je restai plusieurs secondes, les yeux fixés sur la plaque, me demandant si l’inscription était bien réelle. Lorsque je me tournai vers Raphaël, je pus lire une certaine appréhension dans son regard, s’inquiétant probablement de ma réaction. Car on allait à son rythme. Un rythme qui venait dangereusement de s’accélérer, et Raphaël ignorait totalement si j’étais capable de le suivre. Pourtant, ce fut moi qui m’alarmais encore. Je comblai la distance entre nos deux corps pour me blottir contre.

— Ils sont venus poser la plaque ce matin.

— Ça veut dire oui ? Tu restes vraiment ? demandai-je la voix encore fragile.

— Oui, évidemment que oui ! répondit-il son souffle se perdant dans mes cheveux. C’est aussi quelque chose que je voulais te montrer aujourd’hui. Mais décidément, j’ai tout fait de travers.

— Non, au contraire. C’est parfait, murmurai-je le visage enfoui contre sa poitrine.

J’avais encore du mal à y croire, alors je quittai ses bras pour me tourner de nouveau face à la plaque. Raphaël se colla contre mon dos, ses bras encerclant ma taille tandis que ses mains se posaient à plat sur mon ventre, les miennes les recouvrant. Je laissai ma tête retomber contre sa poitrine et nous restâmes ainsi, sans bouger, à ignorer l’effervescence de la ville autour de nous. La quiétude de l’instant ne s’émoussa pas, contrairement à ce que je pensais. Lorsque j’étais avec Raphaël, j’avais toujours du mal à lâcher totalement prise. Je redoutais d’être complètement heureuse de peur que l’on me retire ce bonheur. Mais maintenant, malgré le lieu improbable, au milieu de la circulation, je me trouvais à ma place.

Je sursautai néanmoins et me raidis en voyant la porte du cabinet s’ouvrir. Je pensais qu’il était désert, mais Valérie s’y trouvait encore. Je me décalai de Raphaël qui relâcha son étreinte.

Toujours fidèle à elle-même, Valérie ne répondit pas à mon bonjour.

— Qu’est-ce qu’elle fait là, elle ?

Même en me parlant, elle utilisait la troisième personne. Comme si je n’existais pas, et que je n’étais pas suffisamment digne pour qu’elle s’adresse directement à moi.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant