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Raphaël se tourna et planta ses yeux marine aux miens. Ma respiration se bloqua, sorte de réflexe compulsif dès qu’il avait le malheur de se trouver dans un périmètre proche. Il dégageait un masque d’impassibilité. J’aurais aimé qu’il parle. Qu’il m’explique. Mais il quitta la pièce me laissant un peu plus déconcertée. Je me relevai du lit, mais dus me rallonger de suite. Les élancements me tiraient le crâne avec le même acharnement. Je reposai la tête sur l’oreiller, repliant mon coude sur les yeux. Et je serais allée où de toute façon ? À moitié nue, chez un homme qui visiblement allait me faire payer mon état de la veille en m’offrant la pire des explications : qui se résumait en un silence assourdissant. Mais qu’est-ce qui m’avait pris hier ? Si sur le moment, ma petite rébellion m’avait semblé excellente, voire jouissive, aujourd’hui, elle m’apparut affligeante.

La seule chose censée que j’aurais dû faire, c’était de l’ignorer. J’aurais dû occulter sa présence dans le restaurant, rejoindre ma table, manger et repartir. Mais la colère avait pris le dessus, m’avait fait perdre toute logique et je l’avais bêtement défié en me saoulant avec un inconnu. Au moins, ce n’était pas avec lui que j’avais passé la nuit. Ce qui me rassura légèrement. Car Raphaël avait beau entretenir à mon égard des sentiments hostiles, je n’oubliais pas que quelques semaines auparavant, j’avais été outrageusement entreprenante alors que je savais pertinemment qu’il était en couple. Et il me l’avait bien fait comprendre. J’avais dépassé des limites. Ces mêmes limites que jamais je ne me serais cru capable d’abroger. Je marmonnai, encore plus mal à l’aise.

Je n’eus guère le temps de m’autoflageller, qu’il entrait dans la chambre, un verre à la main. Je le regardai s’approcher ne sachant quelle attitude adopter et instinctivement, je me recroquevillai. Il me tendit le verre, mais j’étais toujours incapable de bouger.

— Buvez !

Mon regard oscillait du verre à Raphaël. La requête était simple, mais je ne parvenais pas à l’analyser. Toutes mes synapses s’étaient mises en veille. Je notai uniquement qu’il commençait à s’agacer, ce qui débloqua quelque chose chez moi. Je sortis mon bras de sous le drap, prenant soin malgré mon état apathique de ne pas me dévoiler. Ce qui était stupide vu qu’il m’avait mise dans son lit, et surtout qu’il m’avait déshabillée. À cette pensée, je sentis le peu de couleur qu’il me restait quitter mes joues. Lorsqu’il me tendit un cachet, je ne pus faire autrement que me redresser et coincer le drap sous mes bras.

— Ibuprofène.

Je fermai les yeux, un peu plus marquée par la honte.

— Maintenant, buvez ! s’impatienta-t-il.

Je m’exécutai et pris en même temps le cachet. J’aurais pu avaler la mer et les poissons avec tant la soif s’exacerba dès que mes lèvres furent en contact avec l’eau fraîche. Il tendit le bras vers le verre vide et me le prit des mains.

— Encore ?

Je hochai la tête et acquiesçai. Il se dirigea vers la salle de bain et revint avec un verre plein, que j’avalai avec la même frénésie. Raphaël n’avait pas bougé, me regardant boire. Je plongeai mes yeux dans le verre vide, cherchant un peu de courage avant finalement de relever la tête. Il paraissait toujours agacé, mais aussi contrarié. Je pris une grande inspiration chevrotante.

— Merci…

Ma voix rocailleuse me surprit que je tentai d’éclaircir. Une voix altérée par l’alcool, et je me maudis d’avoir si peu contrôlé mes émotions la veille. Raphaël ne m’aidait pas. Son mutisme était proportionnel à la culpabilité que je ressentais. Il quitta de nouveau la pièce, me laissant dans la plus totale confusion, pour revenir quelques minutes plus tard. Il déposa quelque chose sur la commode, mais son corps m’empêcha de voir de quoi il s’agissait lorsqu’il se tourna pour me faire face. Je ne comprenais pas son attitude. Je ne comprenais pas qu’il me dévisage sans un mot. Jusqu’à ce que je réalise qu’il attendait que je prenne la parole. Une fois de plus, il me poussait dans mes retranchements, ne m’accordant aucune possibilité de m’échapper. Je m’éclaircis un peu plus la voix sans penser un instant que les mots seraient si difficiles à formuler.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant