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La commande arriva le mardi matin. L’ouvrage était spécifique et le délai avait été un peu plus long que pour une commande classique. Non qu’elle fût hors du commun, mais elle sortait légèrement de l’ordinaire. J’attrapai mon portable pour envoyer un SMS, mais je me surpris à rester bêtement bloquée, ne sachant comment tourner mon message. Comme avec les autres clients me susurra une petite voix au fond de ma tête. Il n’était pas comme les autres clients, intervint une autre petite voix. Je soupirai d’agacement, même si ma réaction était en réponse à tous ses changements d’humeur et d’attitude à mon égard. Il utilisait un large panel d’émotions, passant de l’impatience à la bienveillance, en faisant un détour par l’agacement. Je ne savais jamais comment j’allais être reçue, et cette ignorance me troublait, car elle m’obligeait à m’adapter en me forçant à quitter ma si précieuse zone de confort.

Moi

« Bonjour, votre commande est disponible. Si vous souhaitez venir la chercher aujourd’hui, la librairie sera ouverte jusqu’à 18 h

Émilie »

La réponse ne se fit pas attendre.

Raphaël

« Bonjour, Émilie. Pourriez-vous me rendre un service et me l’apporter au cabinet s’il vous plaît ?

Raphaël »

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine qui se contracta, vidant l’air de mes poumons. Indécise, mes doigts restèrent en suspens au-dessus du clavier. Je m’admonestai. Je pouvais bien me rendre une fois de plus dans ce cabinet. Trois fois en quinze jours était un record, mais également une épreuve que je pouvais passer avec certitude, du moins m’en persuadai-je. Pourtant, j’hésitai toujours à répondre. Ce n’était pas tant l’acte en soi, celui d’entrer dans cet espace qui me freinait, mais plutôt comment j’allais être accueillie, surtout après la façon dont s’était terminé notre dernier échange. J’allais me jeter en plein dans ce que je redoutais : l’incertitude.

Moi

« D’accord. Quand souhaitez-vous que je la dépose ?

Émilie »

Raphaël

« Maintenant.

Raphaël »

Sa réponse fusa, alors que la mienne avait mis plus de dix minutes avant d’être envoyée. Et ce que je lisais n’était pas une proposition. Ce n’était pas un ordre non plus, mais cela s’en approchait. J’aurais pu m’offusquer par la brusquerie de son message, mais c’est justement elle qui me donna le courage d’accepter. Il avait anticipé ma réaction. Il ne m’avait tout simplement pas demandé si cela me convenait, car même sans réellement me connaître il savait que je trouverais une excuse pour repousser la livraison. Ce qui aurait été stupide et irraisonné.

Sans réfléchir, j’attrapai le volumineux ouvrage, fermai la librairie et me dirigeai vers le cabinet. Les rues d’ordinaires si apaisantes ne m’apportèrent ni le calme ni la sérénité. Je passai à côté des commerces sans relever la tête, l’esprit perdu dans des pensées désordonnées, le livre serré contre moi, comme si ma vie en dépendait.

J’oubliai de réfléchir un instant et entrai. Je fus surprise de découvrir la place de Margot vide, ce qui augmenta ma nervosité. Le silence du lieu me déconcerta. Je ne pouvais décemment pas frapper à la porte du bureau de Raphaël s’il se trouvait en pleine consultation. Ne me restait plus que la salle d’attente vers laquelle je me dirigeai, protégeant toujours mon volumineux paquet.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant