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J’embrassai Mado avec effusion, inquiète qu’elle soit au restaurant et en même temps rassurée de la voir sur pied. Au moins, elle ne faisait pas le service, mais regardait Marie virevolter entre les tables, servir les plats avec efficacité et prendre les commandes sans perdre le fil. Elle nous adressa un clin d’œil, et un sourire éclatant. Visiblement, elle prenait non seulement son métier à cœur, même s’il fut saisonnier, mais en plus elle s’amusait. Deux qualités plutôt rares.

— Pas de doute, vous avez trouvé une perle, toi et Jo.

— Oui, Marie est vraiment à la hauteur. La preuve, tu ne t’es pas encore levée pour prendre quelques commandes au passage, m’amusai-je à relever.

— Dis-moi, toi. Tu m’as l’air toute guillerette.

Ce que je ne pouvais nier. Pour une fois depuis bien longtemps, le miroir, ce matin, m’avait renvoyé le reflet d’une femme au regard plus pétillant, aux joues plus roses. Une femme… heureuse. Mais je décidai qu’il était encore trop tôt pour en expliquer la raison.

— C’est de te voir sur pied.

Et là aussi, je ne mentais pas. J’étais terriblement soulagée de voir les couleurs revenir sur le joli visage de Mado. Raphaël, qui passait chez elle tous les jours pour un contrôle, me confirmait qu’elle se remettait très bien de son opération. Et je le croyais…

— Quoi d’autre ? demanda-t-elle de façon beaucoup trop innocente, ce qui me fit rire.

— Rien d’autre. Je t’assure.

Des clients réclamaient des cafés, et j’en profitai pour m’éclipser. Je fis couler plusieurs expressos, ma bonne humeur agrafée aux lèvres. Ses dernières s’étirent un peu plus lorsque la porte s’ouvrit pour laisser entrer Raphaël. Son regard accrocha le mien et sa bouche esquissa cette petite moue qui me donnait toujours envie de la croquer. Je me repris cependant très vite et affichai un visage de circonstance. Sérieux et courtois, en l’occurrence. Mais l’exercice était difficile et périlleux, car il ne se gênait pas pour me dévorer du regard. Je me dirigeai vers lui.

— Docteur Tessier, le saluai-je de façon très solennelle.

— Émilie, répondit-il en retour, la voix anormalement basse, mâtinée d’un désir que je ne pus ignorer.

Je n’imaginais pas qu’un seul mot, mon prénom en l’occurrence, puisse contenir autant de sous-entendus.

— Ah ! Bah ! au moins, ce n’est plus la guerre entre vous, nous apostropha Mado qui venait de nous rejoindre.

Oui, décidément, l’information circulait à une vitesse étourdissante dans cette ville… Je toussotai, embarrassée, tandis que Raphaël, parfaitement à l’aise, ne se priva pas pour m’envoyer un de ses sourires qui me faisaient perdre tout contrôle.

— Nous avons, comment dire… mis cartes sur table et trouvé un terrain d’entente.

Le sous-entendu lorsqu’il insista sur le mot « table » me fit tousser à nouveau et j’eus un peu de mal à respirer normalement.

Je me tournai vers la machine et lui préparai un expresso. Sans sucre. Ce détail amena illico un autre sourire. Je posai la tasse devant Raphaël qui en profita pour furtivement me caresser la main. Je laissai la mienne autour de sa tasse peut-être un peu trop longtemps, mais la douceur et le côté clandestin du geste m’apportèrent des frissons qui n’échappèrent pas à Raphaël. Et la promesse que je lus dans ses yeux affola mon cœur.

*

Des petits picotements me parcoururent la nuque. Sans le voir, je sus qu’il était là. La librairie fourmillait de clients, et pourtant, au milieu de tous ces inconnus, mon corps le devina et le reconnut immédiatement. La sensation était étrange, mais aussi fascinante. Je fermai les yeux et réprimai un frisson lorsque je sentis un souffle dans mon cou. Je ne me retournais pas, appréciant le moment tout en continuant à ranger jusqu’à ce que sa voix ensorcelante vienne vibrer à mes oreilles. Pour ceux qui nous observaient, il ne s’agissait en apparence que du médecin s’adressant à la libraire.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant