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Je repris mes habitudes à la librairie, déballant mes commandes, rangeant, triant, contactant mes clients. Une routine qui apaisait et contrebalançait l’agitation de la matinée. J’ouvris le tiroir dans lequel j’avais placé le tube de pommade. Je ne doutais pas des intentions de Raphaël. Oui, il pouvait m’aider. Mais il m’entraînait aussi sur un chemin qui s’avérait être dangereux pour moi. Ce n’était pas des boîtes à trésors que je risquais de découvrir en le parcourant, mais des miroirs qui me mettraient face à celle que j’avais été et surtout à ce que j’avais perdu.

Je déjeunai d’un sandwich que Jo m’avait préparé. Je souhaitai rattraper le retard que j’avais pris. De plus, Antoine désirait me montrer un local qui se libérait. Je le connaissais. Il ne se trouvait pas dans un périmètre proche, mais sans être totalement excentré. Ce qui m’effrayait le plus, c’était les travaux à effectuer pour que le lieu ressemble à une librairie. Et je n’étais pas certaine que mon budget me permette une telle folie. Antoine viendrait avec un artisan. Même si l’estimation était faite à la louche, cela me donnerait une idée du montant des travaux dans le cas ou je reprendrais le bail.

Je rejoignis Antoine à 17 h devant le local. Plus je m’éloignais de la librairie, plus je réalisais tout ce que je m’apprêtais à perdre, et cette pensée me serra le cœur. La petite rue était en retrait de l’artère principale. À part un bar-tabac, il n’existait pas d’autres commerces, et mon moral tomba encore d’un cran. J’adressai néanmoins un sourire poli à Antoine que j’embrassai. Je fus surprise de ne pas voir l’artisan, et en fis la remarque à Antoine qui m’expliqua qu’il nous rejoindrait bientôt.

À peine entrée, je sus que jamais je ne pourrais m’installer dans cet endroit. Même rénové, il n’y avait pas d’âme. Il ne me bouleversait pas comme avait pu le faire la librairie. Je ne désirai pas faire perdre plus de temps à Antoine, et ce fut résignée et déçue que je pris la parole.

— Je suis désolée, mais je ne pense pas que l’endroit convienne, même rénové, ajoutai-je.

Antoine leva les yeux et fit le tour du local, une moue se dessinant sur son visage.

— Oui… je crois que je suis d’accord avec toi. Je voulais juste être sûr que tu n’accrochais pas avec celui-là. J’en ai un autre à te présenter. Il se libère dans quelques mois, et je pense qu’il répondra mieux à tes attentes, ajouta-t-il avec un air malicieux.

— Où est-il ?

— Pas très loin. Je sais que ce n’est pas le quartier idéal, mais il se rapproche de la rue principale et c’est un peu plus vivant.

Je lui adressai mon premier vrai sourire depuis que j’avais quitté Margot.

— On attend quoi pour le voir alors ?

Finalement, on décida de laisser nos voitures. Le local se trouvait à cinq minutes à pied, et on aurait plus vite fait de nous y rendre ainsi que tourner pendant plusieurs minutes pour dénicher des places de parking, ces dernières étant malheureusement rares dans le quartier. Ce qui ajoutait un point négatif à ma liste. Mais j’essayai de chasser mes a priori. Antoine faisait de son mieux, et j’avais conscience de la pauvreté des biens disponibles sur le marché.

Je passai mon bras sous celui qu’il me présenta avec une galanterie exagérée, ce qui me fit rire, et nous nous mîmes en route, tout en badinant. Et cette légèreté me fit beaucoup de bien, chassant l’ombre que provoquait mon prochain départ de la librairie.

— Tu as l’air en forme.

— Je vais bien, oui, confirmai-je.

— Ça se voit. Tu sembles plus… lumineuse.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant