Les camelots avaient déjà installé leur stand. Un joyeux brouhaha envahissait la place, et les habitués étaient de sortie, leur panier rempli.
J’adorais les mercredis. Ils mettaient la ville en effervescence, et chaque stand posait sur la place des points de couleur différents. Les rues sentaient les fruits, la terre, la vie, et ces effluves particuliers qui me donnaient envie, dans ces rares moments, de la croquer.
Oui, j’aimais nos mercredis et les sourires qu’ils apportaient. Surtout ceux des enfants lors de l’atelier lecture que j’organisais pour eux l’après-midi. Je n’y gagnais rien financièrement, mais ce qu’ils m’offraient valait tous les trésors du monde. Je sortais de ces après-midi, gonflée à bloc, même si une dizaine d’enfants à gérer me donnait l’impression d’avoir couru un marathon.
Comme à son habitude, Jérémie passa vers 11 h. Je l’entraînai par la manche dans l’arrière-boutique après lui avoir fait la bise.
— Tu vas bien ? m’interrogea-t-il inquiet.
— Oui, oui. J’aurais un service à te demander.
— Bien sûr !
— Tu te souviens du recommandé que tu m’as fait signer samedi ?
Il acquiesça, et je poursuivis, lui expliquant la teneur du courrier reçu.
— Merde ! Tu vas faire quoi ?
— Chercher un local. C’est pour cela que j’aurai besoin de ton aide.
— Tout ce que tu veux, tu le sais bien.
Je souris, attendrie par ses mots, et le remerciai.
— Voilà. Si tu entends parler d’un local disponible ou qui le serait bientôt, tu pourrais me prévenir ? Tu côtoies tous les commerçants, et j’ai pensé que tu serais le premier informé si l’un d’eux restituait une boutique. Je ne veux pas que tu croies que je profite de la situation, me justifiai-je d’un coup, embarrassée. Tu n’es pas obligé d’accepter.
— Arrête, Émilie. Évidemment que je te préviens !
Je plongeai dans ses grands yeux noirs et le remerciai chaleureusement.
— Il n’y a rien qui se libère pour le moment, ajouta-t-il.
— Il me reste un peu plus d’une année avant la fin de mon bail. J’espère trouver d’ici là.
— Tu vas trouver ! J’en suis sûr.
J’aurais aimé partager son enthousiasme. J’avais appris à me méfier de l’optimisme et du bonheur. On pouvait vous les reprendre en un claquement de doigts. Cependant, je ne voulais pas gâcher son élan, alors je ne dis rien.
— Dis-moi ce que je peux faire pour te remercier ?
— Je n’ai pas besoin de ça, tu sais, dit-il en haussant les épaules.
— Laisse-moi t’inviter pour dîner dans ce cas !
— T’es pas obligée.
— Jérémie ! Crois-tu vraiment que je me sente obligée ? J’en ai envie. Ou si tu veux, considère cette sortie comme une entrevue qui scellera notre collaboration.
Son rire m’atteignit agréablement, et il était bon de retrouver un peu d’insouciance.
— D’accord ! Mais pour préserver mon amour-propre, par pitié, c’est moi qui t’invite !
Ce fut à mon tour de rire. J’en avais oublié le bien que cela faisait.
*
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L'envol fragile du papillon
RomanceIl y a deux ans, Émilie, libraire dans une petite ville de Provence, perdait son mari dans un accident de la route et l'enfant qu'elle portait quelques heures plus tard. Depuis, sa conception de la vie a totalement changé. Émilie se barricade derriè...