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Je mis vingt minutes pour rejoindre le cimetière, préférant m’y rendre à pied, mes talons me compliquant considérablement la tâche. Les mots de Valérie résonnaient dans ma tête et rebondissaient sans parvenir à trouver une place dans l’oubli. Je savais qu’ils s’estomperaient, mais je savais également que les dégâts qu’ils venaient de m’infliger mettraient, eux, un peu plus de temps avant de disparaître. Quand Pierre était mort, je n’avais pas seulement perdu mon mari. J’avais perdu, mon ami, mon confident, mon amant. Et m’entendre dire que j’étais seule responsable était douloureux.

Je balayai les quelques herbes et poussières qui recouvraient la stèle. J’avais quitté le restaurant sans rien d’autre que ma douleur, oubliant sur place mon sac, mes clés, mon téléphone. Mais je n’avais pas besoin de ces choses matérielles pour être avec Pierre. Je m’allongeai sur le marbre qui malgré les températures plus élevées, ne se réchauffait jamais. Je fermai les yeux et laissai le vide se faire en moi peu à peu. Bientôt, les notes me parvinrent. Au début de façon désorganisée, puis de plus en plus précise, jusqu’à ce que je ne perçoive plus qu’elles.

« Headlights… before me

Headlights… before me,

So beautiful, so clear,

Reach out… and take it,

Cos I’m so tired of all this fear,

My tongue is lost, oh, I can’t tell you,

Please just see it in my eyes,

I pull up thorns from our ripped bodies,

And let the blood fall in my mouth 1 ».

Mon dos emmagasinait le froid de la pierre tandis que l’air chaud soufflait sur mon visage que j’offrais sans réserve aux derniers rayons du soleil. Le contraste me saisit d’un coup et j’ouvris les yeux. Il illustrait ma vie. Je me situais dans un entre-deux, en équilibre entre le monde des morts, et celui des vivants. Je ne savais pas si je désirais sortir de l’un pour entrer dans l’autre. Évidemment que j’avais pensé rejoindre Pierre, mais le peu d’humanité qu’il me restait après l’accident avait pris le dessus et m’avait poussé à m’accrocher. Le problème était que je me trouvais toujours dans une sorte de no man land. À vivre avec les morts, tout en étant vivante. Même si ces dernières semaines m’avaient permise d’avancer de quelques pas vers la chaleur.

Je me relevai, et m’assis, mais dus fermer les yeux quelques secondes, des minuscules taches lumineuses flottant devant. Ce fut lorsque je parvins à faire le point que je le vis. Il avait posé son cuir ainsi que son sac à dos sur un petit carré d’herbe. Il se tenait debout, à quelques mètres seulement, légèrement appuyé sur la tombe d’à côté. Son geste aurait pu paraître irrévérencieux, mais venant de Raphaël, cela enlevait l’aspect mystique. Il était médecin, il côtoyait la mort, peut-être moins souvent que je ne le pensais, mais il savait ce qu’étaient les réalités de la vie, ainsi que ses priorités. Et à cet instant, sa priorité ne résidait pas dans le fait de s’adosser contre un morceau de marbre. Ce n’était pas les morts qu’il risquait de froisser, mais les vivants. Et les vivants étaient plutôt rares dans un cimetière à la tombée de la nuit.

Mon étonnement dut se lire sur mon visage, mais je demeurais silencieuse. Et ce même silence était une invitation. Je l’autorisai à s’approcher, me demandant comment il avait su.

— Margot ?

Il acquiesça.

— Depuis combien de temps êtes-vous là ? demandai-je doucement tandis qu’il s’accroupissait pour être à ma hauteur, les bras reposants sur ses cuisses.

L'envol fragile du papillon  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant