Le dîner : grisaille et squelette de la capitale.

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Hyuna l'a bien embrassé dix fois avant qu'il ne monte dans ce train Intercités. De longs baisers froids, les deux mains sur ses joues, les yeux humides ancrés dans les siens. A croire qu'elle laissait son marin partir en mer, son mari s'en aller pour la guerre. Peut-être que c'était réellement leur guerre ? Qu'elle était spectatrice du conflit entre elle et Yoongi au sein même du cœur de son aimé, là où elle se croyait en sécurité pour toujours.

Hoseok s'est contenté de lui tapoter gentiment l'épaule et de lui tendre les billets de bus. Il y avait énormément de sollicitude dans son regard et Jimin s'est senti courageux un bref instant lorsqu'il l'a finalement pris dans ses bras. Il n'avait jamais pensé retrouver Hoseok mais, maintenant qu'il était là à ses côtés, il ne se voyait plus sans cet ami.



Il était monté dans le train sale et dépassé qui relie la banlieue et la capitale. Il n'y avait pas grand monde à cette heure-ci, sans doute qu'il jurait un peu dans sa chemise noire exempte du moindre pli et son pantalon à pinces. Jimin avait organisé ses cheveux de part et d'autre de son visage, parfaitement lissés et Hyuna avait souri tendrement en appliquant une crème de jour sur son visage fatigué. Le temps, depuis la fin du lycée, avait marqué ses joues, creusé ses tempes, agrandit ses cernes. Jimin n'avait même pas trente ans et il avait vieilli, surtout ces derniers jours. Elle ne lui en avait pas fait la remarque, à quoi bon ?

Des adolescents avaient mis de la musique à fond tout le long du trajet. Jimin l'avait écouté distraitement, il n'avait pas pu en comprendre toutes les paroles vues qu'ils s'insultaient et riaient par-dessus. C'est fou comme les paysages lui avaient semblé moins beaux maintenant qu'il était seul et que Yoongi n'était plus là pour l'entrainer, avec Hoseok, dans les adresses chics et branchées. A la place il y a du béton, des tags pas toujours très artistiques et des câbles électriques. Même les arbres semblent vouloir imiter la laideur de l'homme : rachitiques, tordus et dégarnis ou alors couvert d'une poussière polluante. Pas la moindre fleur, juste des herbes folles, fouettées par le passage des trains et sur lesquelles s'est également déposé ce filtre noirâtre.



Jimin manque de peu de finir sous le train en loupant l'écart entre la marche-pied et le quai. Il est un peu perdu, tousse quand la poussière et l'air sec agressent sa gorge. Certains attendent pour monter et le voyant statique à la sortie du wagon lui jettent des regards noirs. Derrière, un des jeunes du trajet lui donne un bref coup de coude dans le dos pour l'inciter à avancer. Jimin n'a pas retrouvé ses esprits, ses yeux le piquent mais il se dégage du passage et reste planté sur le quai à trouver sa respiration. Lorsqu'enfin il y parvient c'est l'odeur de pisse qui lui saute au visage, l'endroit empeste le rat crevé et son estomac se soulève. La foule court à droite et gauche, il voit les gens comme lui qui prennent le train du retour. Les costards, les cravates, les airs farineux et les mallettes en main. Jimin voudrait reprendre sa respiration mais l'odeur nauséabonde l'en empêche. Il s'empresse de sortir de la gare, ses jambes sont lourdes mais au prix d'un effort qui lui paraît surhumain, il parvient à l'air libre.


Un air tout aussi sec de poussière et les bruits des klaxons finissent de fracasser son crâne. Chaque pas qui le rapproche de son rendez-vous alourdit sa tête, tétanise ses muscles. Il ne se souviens pas avoir composté son billet une fois assis sur un des fauteuils tachés du bus mais n'a pas le courage de se relever pour le faire. La foule odorante de la fin de journée se presse contre lui : de la sueur acide, des effluves de parfum, des sons de téléphone. Jimin emploie toute son énergie à écouter la voix automatique masquée par les discussions et tire sur ses yeux pour lire les noms des arrêts sur les panneaux d'où ils défilent en orange.

𝑽𝒐𝒊𝒔𝒊𝒏𝒔  |YoonMin| ★Où les histoires vivent. Découvrez maintenant