[HISOKA]
— La première fois, tu avais quel âge ?
J'ouvris la bouche, un demi-sourire sur les lèvres.
— Ça t'intéresse ?
Illumi ne posait jamais ce genre de questions. J'avais toujours cru que ces détails ne l'intéressaient pas. Pour moi-même, tout cela avait si peu d'importance. Pourtant mon ami hocha la tête. Je me demandai alors s'il avait perçu ma surprise.
— Quinze ans peut-être, répondis-je finalement en fermant les yeux. Je ne lui avais pas menti, enfin pas tout à fait. Pour que ces mots aient été parfaitement véridiques, il aurait fallu retiré ce peut-être qui suggérait mon incertitude. En réalité, je me souvenais de ma première fois avec une grande clarté.
Cela avait été une jolie nuit. Furtive mais jolie, tout comme la fille avec qui je l'avais passée. Elle avait deux ans de plus que moi et des cheveux blonds qui frôlaient ses épaules à chaque mouvement de nuque. Elle m'avait expliqué les avoir coupés très courts quand elle avait mon âge, juste pour énerver sa mère. Je me souvenais des bleus sur son dos que j'avais effleurés en lui enlevant son haut. Elle ne s'était pas justifiée mais cela ne m'avait pas surpris. A cette époque, je vivais toujours en foyer. Des gosses battus, j'en avais vu passés. Ils se ressemblaient tous de près ou de loin. Ce n'était pas physique, pas une absence de sourire ou une lueur dans l'œil. C'était plus subtil que ça. Un cri silencieux aussi insaisissable que violent. Cette fille faisait partie de ces ombres à qui la voix avait été arrachée. Le lendemain, je m'étais réveillé après elle. Elle avait ri en me voyant ouvrir les yeux puis avait murmuré que je devrais probablement partir avant que ces parents ne reviennent. Je l'avais regardé, en point d'interrogation dans les pupilles. Elle avait secoué la tête, un sourire imprimé aux lèvres : je ne préviendrai personne, elle ne souhaitait pas d'aide. J'acquiesçai. Je comprenais.
— À toi, dis-je, n'observant pas la moindre réaction chez mon ami. Qu'est ce que tu choisis, Illumi chéri?
— Pas les surnoms, souffla-t-il en attrapant le verre que j'avais tout juste terminer de verser. Le contenu de celui-ci fut absorbé d'un trait. Je plissai les yeux en esquissant un sourire saisi qui découvrit mes dents. Mes doigts saisirent mon propre verre que j'élevais à hauteur d'œil comme pour trinquer avant d'en jeter le contenu dans ma gorge.
Je centrai en suite mon regard sur Illumi et laissai s'écouler de longues secondes tout en pensant à tout ce qu'il me cachait à propos de Ryo. Ma curiosité croissante me brûlait la bouche. L'engouement insoupçonné que je ressentais à l'égard des secrets d'Illumi me confondait en un sens. La décision de passer la soirée en sa compagnie s'était faite sur le moment. Si vite qu'elle ne méritait pas le nom de décision. Cela avait été un choix aussi spontané qu'irréfléchi. Mais après tout, l'être que j'incarnais avait toujours agi avec la plus légère des impulsivités et jamais je ne m'en étais excusé. Cela ne commencerait pas aujourd'hui.
Ainsi, mes pensées s'axèrent à nouveau sur la tâche que j'avais initiée : faire parler Illumi. Pour l'instant, le garçon s'obstinait à boire. S'il conservait ce rythme-là, il flancherait bien vite. Mais ça, il en avait parfaitement conscience. Je soufflai du nez. Illumi se trouvait dans une impasse, il ne me restait plus qu'à poser les bonnes questions. De fait, Illumi commençait déjà à hésiter :
— Indécis peut-être ? lançai-je en levant le menton. Je m'amusais terriblement.
— Je bois.
J'haussai les épaules.
— Comme tu veux. Tu as confiance en ton endurance apparemment. Je n'avais aucune idée de sa résistance à l'alcool. C'était, pour ainsi dire, la première fois que nous buvions ensemble tous les deux.
Je jetai un coup d'œil à Illumi qui e m'avait pas répondu. Les yeux clos, il expira silencieusement par le nez. Mon regard s'attarda sur ses paupières fermées quelques instants.
— Très bien, demande-moi ce que tu veux, Illumi, soufflai-je en détournant mes yeux des siens, qu'il venait tout juste de rouvrir.
— Pourquoi es-tu inpaba... Inbacaple... In. Ca. Pa. Ble. De faire durer une relation plus de trois semaines ?
Mon regard se figea de stupéfaction. Je ne m'attendais pas à de telles questions. Mais l'alcool commençait à lui monter à la tête, alors je laissai échapper un petit ricanement.
— Il n'a jamais été question de relations, tu sais, soufflai-je en avançant mon torse dans sa direction. Illumi n'esquissa pas le moindre geste.
— Donc tu ne fais que t'amuser ? déduit-il.
Ma bouche s'ouvrit doucement en un rictus intrigué.
— Voilà, conclus-je en ne le quittant pas des yeux. Depuis combien de temps gardait-il ses questions ?
— D'accord, dit-il. Finissons-en.
— C'est ton tour.
En prononçant ces derniers mots, je m'aperçus de la lucidité déclinante d'Illumi. En effet, ce dernier avait cessé de se tenir droit : le menton dans la main, il hésitait. Il passa très vite sa langue sur ses lèvres.
— D'accord, tu gagnes. Pose-moi ta question, dit-il en se redressant à demi.
Je me félicitai en silence. Il s'était finalement rendu à l'évidence ; quoiqu'il puisse faire ou dire, je les obtiendrai mes réponses. J'eus un léger sourire à l'idée d'Illumi, quittant l'appartement, claquant la porte derrière lui. Cela aurait été là son unique échappatoire. Pourtant il était là, assis en face de moi, ses yeux dans les miens.
— Où as-tu rencontré Ryo ?
Son menton quitta sa main.
— Pourquoi il t'intéresse autant ?
— Non, c'est à toi de me répondre. Pas le contraire, soufflai-je.
— Bien. C'était le jour de mes dix-huit ans. Il y avait eu cette soirée que mes parents avaient donnée au manoir.
— Je n'étais pas invité ?
— Ce n'était pas exactement ton genre d'ambiance.
J'hochai la tête en riant.
— Je vois. Et c'est ce soir-là que c'est arrivé ?
— Une seule question, me corrigea-t-il immédiatement. Je levai mes paumes de mains vers le ciel.
— Tu sais, je vais bien. Figure-toi conscience d'avoir bu de l'alcool fort, me dit-il. Ma tentative de lui extirper des informations n'était pas passée inaperçue.
— Mh, combien de verres as-tu bu ? lui demandai-je en levant les sourcils. Illumi n'ouvrit même pas la bouche.
Ses grands yeux noirs me considéraient toujours alors que le silence s'abattit sur la pièce. Je crois que c'est là que j'ai arrêté de sourire ; la courbure de mes lèvres s'était évanouie alors que je fixais le visage flou d'Illumi.
Nous avions ces moments de silence parfois. Aucun de nous deux n'ouvraient plus la bouche et il ne restait plus que les yeux.
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Ravage [Hisoka x Illumi]
FanfictionHisoka et Illumi se fréquentent depuis les prémisses de leur adolescence. L'un est de ceux qui attirent, de ceux dont on refuse de détacher le regard, aussi fascinant que malsain. L'autre est l'ombre, il est celui qui observe et analyse; efficace, i...