Chapitre 9 - Une fois de plus, rien que pour toi

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[ILLUMI]

« - Je suis Illumi Zoldyck.

Prononcer mon nom de remuait rien en moi. Souvent, j'avais été témoin de ces tressaillements d'intimidation ou écarquillements pantois qui suivaient l'entente de mon patronyme. La fierté aurait sûrement pu me faire gonfler le torse. Si j'avais été un garçon timide, peut-être un embarras forcené m'aurait envahi. Mais rien de tout cela. Juste ces syllabes qui, une fois de plus, s'élevaient jusqu'à mes oreilles. Zoldyck représentait plus qu'un nom. C'était un mot porteur de valeurs ancrés, d'attentes enracinés, de devoirs et de responsabilités massives, qui, une fois posés sur mes épaules de nourrisson, avaient, au fil des années, creusé dans ma peau, modelant dos, tête et nuque, la place nécessaire à leur accueil, à leur embrassement.

Ryo étudia mon visage stoïque. Je lui tendais déjà la main; il n'était pas question de sourire.

- Ryo, lança-t-il alors dans un souffle soulagé.

- Je sais, répliquai-je presque froidement, mais je sus à la courbure grandissante de ses lèvres qu'il avait pris ma réponse sèche pour de la sympathie.

- Alors, amis ? conclut-il d'un sourire qui se voyait délivré. Je ne voulais pas de l'amitié de Ryo, ni même de sa présence autour de moi. Seulement, certains choix devaient être fait pour préserver l'intégrité des Zoldyck que mon égoïsme avait mis en danger. Enterrer l'affaire restait la meilleure des solutions.

J'hochai la tête. La vue de son visage m'était devenu insupportable.

- Oui.

Ryo m'adressais un sourire ravi mais ne fit pas un geste qui aurait pu suggérer, comme je m'attendais à ce qu'il le fasse, son éloignement. Il demeurait debout, face à moi, l'air réjoui, une main soutenant fermement la bretelle de son sac à dos. À mon image, il attendait quelque chose. Je m'assénai une violente claque imaginaire. Ryo était pire qu'un garçon stupide et privilégié ; il était, par dessus tout, terriblement commun.

- Viens au parc si tu veux ce midi, déclarai-je. L'enthousiasme constituait pour moi une notion depuis longtemps dissoute dans le bain de connaissances et de savoirs au niveau sans cesse croissant de mon esprit affadi par le temps. Je percevais la foule se vider dans mon dos. Les grilles s'ouvraient.

- Avec plaisir, sourit-il en glissant sa paume sous la bretelle de son sac à dos.

- J'y vais, dis-je simplement en lui adressant un signe du menton à la mi-chemin entre le hochement de tête et le "salut" silencieux.

Ryo se trouvait déjà derrière moi lorsque je l'entendis me souhaiter une bonne journée sur un ton jovial. Je ne me retournai pas, feignant de n'avoir rien entendu.

Mes yeux cherchèrent les cheveux d'Hisoka. Récemment il les avait teints en un rouge ocre qui n'avait pas tenu plus de deux semaines. Sa tête était aujourd'hui recouverte de mèches blondes mâtinées de rose délavé aux racines rousses. Autant dire qu'il était facilement repérable, même de loin. Je l'aperçus, occupant tout l'espace de ses épaules pourtant étroites. À distance, j'observai sa bouche remuait lentement ; il pouvait s'exprimer avec la plus insupportable des lenteurs, jamais personne ne le couperait. Jamais je ne l'avais coupé.

Je m'avançai, à pas lents, vers lui. M'arrêtai, les yeux fixés vers son visage olympien. J'attendais sans savoir.

Son regard se leva sur moi. Ses lèvres continuaient à s'agiter calmement. Elles s'étirèrent seulement un peu. Mais assez. Je l'avais vu. Ses paroles continuaient de fuser mais il ne s'adressait plus à personne. Sur le bitume, effleurant nos pieds distants et immobiles, les feuilles mortes roulaient, poussées par le souffle faible du vent.

Plus tard, à l'intérieur, il me posa sa question : 

- Tout s'est bien passé avec Ryo ? 

- Tu l'as fait exprès, pas vrai ? J'avaiseffectuéun mouvement de nuque brutal pour planter mon regard dans le sien. Arrêt sur image : mes cheveux qui fouettent doucement sa joue droite, lui qui me regarde, l'air railleur.

- Je ne vois pas de quoi tu parles », avança Hisoka, immobile. Pas de fausse expression candide, de bouche en cœur, autant avouer sa culpabilité. Il n'essayait même pas. C'est vrai ; à quoi bon ? Je savais, il savait. Et pourtant, il me laissait contempler à nouveau ce sourire piquant que je reconnaissais même dans le noir.

Aucune réplique ne me vint. Aucune était nécessaire. Alors, les lèvres scellés et le regard plein jusqu'au bord de sous-entendus et du sarcasme hisokien, je me détournai, reprenant le chemin de ma salle de classe dont le bureau devait déjà être recouvert des documents de mon professeur d'économie.

« Une bonne chose de faite. » C'était les quelques mots qui me traversèrent alors l'esprit en repensant à ce passé que Ryo et moi avions balayé d'un revers de main précipité. J'espérais mollement ne jamais avoir à croiser son chemin à nouveau. De fausse re-présentations et la promesse creuse d'une amitié déjà condamnée ne suffisaient étonnement pas à faire oublier la brûlure du fouet de la culpabilité qui s'était déchaîné sur ma psyché des nuits durant.

Les ongles d'Hisoka vinrent alors se planter délicatement dans mon bras.

« - Viens avec moi.

Il me tira sans effort vers la porte de secours qui se dressait dans un coin du couloir. D'un geste souple, il l'ouvrit en grand et nous précipita à l'extérieur du bâtiment. Je me laissai faire.

- Qu'est-ce qu'il y a ? dis-je en fixant le blanc de ma chemise à l'endroit que ses doigts quelques secondes plus tôt serraient avec nonchalance.

- Rien. Je suis curieux, c'est tout. Hisoka se tourna vers moi. Tu es en colère contre moi ?

- Je devrais l'être ?

- Oui. Non. À toi de me le dire, dit-il. J'observais la forme de ses poings qui se dessinait à travers le tissu des poches de sa veste. Pourquoi tu n'étais pas là ce matin ?

Je relevai les yeux vers son visage. Le soupir soulagé que Ryo avait poussé tout à l'heure me revint à l'esprit.

- Ce matin ? Je répétai lentement. Hisoka plongea ses doigts blancs à l'intérieur de sa veste pour en sortir un paquet de Luckies froissé.

- C'est ton copain maintenant ? Ryo ? lança-t-il alors, da cigarette frémissant entre ses lèvres pincées au rythme de ses paroles.

- Non. »

La flamme de son briquet, elle aussi, tremblait. À cause du vent.

« Bien sûr que non », faillis-je chuchoter.

« - Illumi, pourquoi tu es parti ? La fumée s'éleva, traçant des dessins nébuleux dans le ciel gris.

- Tu étais soûl, répondis-je. J'avais l'impression de l'avoir insulté. Il fit quelques pas. Mon regard suivait le mouvement confiant de ses lèvres gercées autour du filtre de la cigarette. Juste au dessus se trouvait son nez, ses quelques tâches de rousseur dont le nombre se comptait sur les doigts de deux mains, la couleur violette du dessous de ses yeux, les petits bosses rosées de sa joue adolescente ou le brun de ses cils.

Je regardai à nouveau ses yeux. Ils ne souriaient plus.

- Toi aussi. » Et Hisoka me souffla la fumée de sa cigarette en plein visage.

Ravage [Hisoka x Illumi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant