[HISOKA]
Je ne voulais plus penser à rien.
J'entrais à peine quand les battements de la musique se mirent à retentir dans ma boite crânienne. Puis dans mon corps entier. Je me sentais bien.
Au bar, je demandai un verre, un shot plutôt, que j'engloutis sans broncher. Ma vision vacilla. Puis je rejoignis la piste de danse non loin, où un amas de personnes, soûls ou stones pour la plupart, s'agglutinait en sautant. Chacun agitait sa tête frénétiquement jusqu'à oublier leur existence même. Les cheveux fouettaient les visages, les corps se bousculaient mais peu importait. Je mouvais mes membres et pourtant j'observais toujours les autres.
Je voyais tout, je sentais tout. L'espace, l'air, les vibrations, les gens.
Et c'est là que je l'ai vu, lui. Il était ici.
Alors que mon regard instable balayait la foule, je l'aperçus. Mes yeux bancals cessèrent de tanguer immédiatement. Était-ce véritablement lui ? Je ne pouvais pas l'affirmer avec certitude. Mais cela semblait trop irréel pour être vrai. Je veux dire, le retrouver ici, après tant de temps...
Je ne voyais pas tout son visage, seulement la moitié. Il était de profil, les yeux fermés, sa langue sur les lèvres d'un type. J'ai souri, le menton baissé. Si c'était lui, il avait bien changé. L'individu apposa ses mains contre les hanches du supposé-Illumi, la bouche de ce dernier se décolla instantanément de celle de son partenaire. Celui-ci prolongea sa route dans le cou de mon ancien ami. La tête d'Illumi était renversée en arrière ; j'avais jadis, moi aussi, provoqué ce mouvement de sa nuque, mais ce rôle ne m'appartenait plus désormais. Enfin, l'important était qu'à ce moment-là, je pouvais voir clairement l'intégralité de ses traits. Ils semblaient plus nets, mieux dessinés qu'avant. Avec le temps, son visage s'était sculpté avec assurance, cette même assurance dont il semblait déborder. Je le sentais au-dessus de tout le monde. Ses cheveux paraissaient aussi bien plus longs. Ils touchaient maintenant le bas de son dos.
Ses yeux, peut-être à cause des baisers que lui infligeait le jeune homme, demeuraient clos. J'observais ses paupières qui tremblotaient sans s'ouvrir pour autant, comme s'il avait connaissance de ma présence mais refusait cependant de me voir.
Avais-je envie qu'il me remarque ? Oh oui. Je ne souhaitais qu'une chose : qu'il ouvre ses yeux et fasse finalement tomber ce rideau qui nous séparait encore. Voir l'expression qu'afficherait ce visage que j'avais connu si imperturbable lorsque son regard croiserait le mien alors qu'un type était en train de lui bouffer le cou au beau milieu d'un club à environ trois heures du matin un vendredi soir, c'était tout ce que je voulais dorénavant. Je ne bougeai plus, les fixant soupirer.
Et finalement, comme si quelqu'un avait entendu mes prières, Illumi entrouvrit ses yeux. D'abord il ne me vit pas ; j'étais à sa droite à deux ou trois mètres de lui. Cependant, lorsque ses pupilles plus perçantes que jamais me transpercèrent d'un regard en coin, l'œil à peine ouvert, un frisson autant d'excitation que de nervosité parcourut la totalité de mon épiderme en un quart de seconde. Je savais qu'il m'avait vu. Même s'il faisait sombre. Car il ne se détourna pas. Il se mit même à me dévisager. Néanmoins, quelque chose m'étonna : l'aspect de son visage ne changea pas, pas un tressaillement dans ses sourcils, pas le moindre mouvement d'épaules ou de nuque, pas une seule déglutition, même discrète. Rien. Comme s'il s'attendait secrètement à ma présence. Illumi me regardait avec la plus grande des simplicités. Et j'avais la dérangeante impression qu'il me voyait nu.
Sa poitrine se soulevait à courte intervalle au rythme vagabond de sa respiration. J'observai aussi son ventre qui frémissait sous les gestes de l'inconnu. Illumi exagérait-il ses réactions à cause de moi, pour me provoquer ? Je l'espérais.
Le regarder ainsi, le revoir de cette façon, dans cette situation précise me contentait délicieusement. Mon excitation semblait à son comble, et je ne pouvais plus détacher, même si cela avait été un instant, aussi court aurait-il pu être, le regard de mon ex-ami. Hypnotisé, mon corps paraissait en apesanteur.
Était-il seulement possible qu'il ait tant changé en l'espace de deux années ? Ou peut-être avait-il toujours gardé caché ce côté de sa personnalité ? Peut-être n'avait-il même pas conscience qu'il pouvait agir d'une telle façon, à l'époque...
Cependant, je me désintéressai très vite de ces interrogations qui n'avaient, en fait, pas la moindre importance face à Illumi, surtout s'il agissait de cette manière.
Ses hanches, non, son corps ondulait adroitement en s'ajustant avec perfection à l'inconnu dont le visage demeurait caché par les cheveux d'Illumi. Ce dernier ne me quittait plus du regard et il me semblait ne pas avoir été autant excité depuis des années. J'aurais pu penser à Chrollo, mais pour être honnête, à ce moment précis, il ne m'effleura même pas l'esprit. Même s'il était ce qui s'approchait le plus d'une véritable relation dans ma vie actuelle. Plus tard, je m'excuserai en me disant que Chrollo, dans une situation similaire, n'aurait pas pensé une seule seconde à moi.
Notre relation était du genre ouverte. Elle l'était tellement que j'en venais à me demander si nous pouvions réellement appeler cela une relation. Enfin peu importait ; il faisait ce qu'il souhaitait faire et m'appelait si j'entrais dans ses plans, et vice-versa. Cette situation me satisfaisait grandement, moi qui détestais tant les attaches. De plus, contrairement à mes rapports habituels, renoncer à Chrollo semblait impossible. Il cochait toutes les cases mais cassait tous les codes. Tout ce que je voulais, tout ce qui m'intéressait, tout ce que je recherchais, je le trouvais chez Chrollo.
Mais maintenant, aujourd'hui, à cette heure, j'avais trouvé quelque chose de nouveau. Et la nouveauté n'avait pas de prix. J'appréciais Chrollo, j'adorais mes heures passées avec lui, mais comment détourner le regard d'Illumi ?
Illumi continua son petit numéro étrange mais exceptionnellement plaisant en soupirant et battant des cils, jamais il ne sourit néanmoins. Ce que je fis en revanche quelques instants plus tard. C'est ce que je lui offris ; un sourire aussi satisfait qu'affamé et débordant d'arrière-pensées pour qu'il comprenne à quel point il avait réussi : peu importe ce qu'il essayait de faire, il avait réussi. Ce sourire devait lui en apporter la confirmation ultime.
Ainsi mes lèvres s'étirèrent puis je tournai les talons, revenant sur mes pas et avançant jusqu'au bar. Je m'y installai sans effacer cet air bienheureux qui déformait mon visage.
Illumi était bel et bien là. Les images défilaient à vitesse vertigineuse à mesure que son visage s'imprimait sur mes paupières. De doux souvenirs refaisaient délicieusement surface ; des détails de nos nuits que le temps avait gommés sans scrupule me revenaient en tête alors que mon envie de le tenir une nouvelle fois dans mes bras ne faisait que croître.
La frustration, surtout. Celle engendrée par le fait qu'Illumi possédait une telle personnalité, si provocatrice, et que je ne l'explorais que maintenant, par hasard qui plus est. La réjouissance m'envahissait exquisément alors que moi-même, me sentais dépossédé. La contradiction qu'Illumi provoquait en moi, ce croisement absurde de sentiments et sensations incompatibles, je l'adorais. Je vénérais cette version de lui qui suscitait un trouble pareil en moi. C'était phénoménal, romanesque presque ; trop beau pour être vrai.
Pourtant ça l'était. Assis sur un tabouret et penché vers l'avant, je fixais le fond de mon verre en souriant ironiquement. Me retourner pour apercevoir Illumi une seconde fois était tentant, j'en mourrais d'envie pour être honnête mais je me retins. Je devais être patient.
Et comme pour récompenser mon attente, une silhouette s'approcha de moi par derrière. Même par dessus la musique, je pouvais entendre le bruit de ses pas feutrés caressant le sol de béton ciré. Je ne me retournai pas vers lui pour autant. Il s'assit près de moi sans un mot et aucun de nous deux ne tourna la tête pour regarder l'autre. Nous restâmes silencieux un moment, mais ce silence ne fut en aucun cas embarrassant : les basses faisaient toujours pression sur nos tympans.
Lorsque la chanson qui était jouée sembla amorcer un passage plus calme, j'ouvris la bouche pour initier la conversation, me tournant enfin vers Illumi. Son visage, que je m'attendais à trouver inexpressif et respirant cette indifférence sévère qui le caractérisait à l'époque, souriait doucement avec une arrogance insolente. Je me mordillai les lèvres en inspirant de bonheur, et finalement adressai la parole à cet être qui m'avait en fait atrocement manqué.
« — Tu viens souvent ici ? »
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Ravage [Hisoka x Illumi]
FanfictionHisoka et Illumi se fréquentent depuis les prémisses de leur adolescence. L'un est de ceux qui attirent, de ceux dont on refuse de détacher le regard, aussi fascinant que malsain. L'autre est l'ombre, il est celui qui observe et analyse; efficace, i...