Chapitre 45 - Audio et visuel

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[ILLUMI]

Je me tournai vers Hisoka. Nos yeux se rencontrèrent pour la seconde fois de la soirée.

« — Non, c'est occasionnel. »

Mon regard se promena sur son visage sur lequel se reflétaient sans arrêt les lumières aussi criardes que fugaces de la boîte de nuit. Les éclats trop vifs aux teintes bleu électrique et rose flashy s'alternaient comme des filtres bouillonnants sur sa peau. « Ça lui va bien, » songeai-je en agitant mollement le liquide du verre que le barman venait de poser devant moi.

Ce n'était pas le premier verre que je buvais cette nuit. Mais je restais conscient de mes actions. Comme par exemple du petit numéro que j'avais servi à Hisoka sur un plateau quelques minutes plus tôt. De la provocation pure, voilà ce que c'était. Au cœur de la foule, mes yeux avaient croisé les siens et je n'avais même pas réfléchi ; mon sang n'avait fait qu'un tour. C'était tout. Je poussai un soupir inaudible, j'avais de plus en plus chaud.

« — C'était ton copain ? l'entendis-je dire.

Je pivotai plus franchement vers lui, il me regardait toujours, ses pupilles déchirant mon souffle trop tiède.

Juste quelqu'un d'insignifiant.

Où est-il ?

Il ne reviendra pas.

Hisoka leva un sourcil, visiblement très amusé.

Un inconnu alors ? 

J'hochai la tête. Le reste de liquide qui demeurait au fond de mon verre coula dans ma gorge sans que je n'en sente le goût. Seulement la brûlure.

Hisoka posa ses deux coudes sur le bar en s'affalant avec nonchalance, le dos plié.

Tu me pardonnes ? lança Hisoka, sans ciller. Moi en revanche, je plissai les yeux essayant d'arrêter le mouvement de tangage de ma vue qu'avait provoqué ma soudaine absorption d'alcool. Les paroles qui sortaient de la bouche d'Hisoka semblaient avoir du mal à arriver jusqu'à mes oreilles.

Mon silence fut assez éloquent pour faire comprendre à Hisoka que je ne savais absolument pas de quoi il voulait parler.

—  La dernière fois que tu m'as adressé la parole, tu étais plutôt en colère contre moi, de ce que je me rappelle... »

Son ton me frappa. Bien que sa voix soit plus adulte et affirmée, il parlait maintenant d'une façon tout à fait étrange. Mystérieuse et provocante, l'intonation qu'il prenait possédait ces accents mouvants et inquiétants, terriblement charismatiques. Chaque phrase prononcée par Hisoka semblait être un mensonge.

Ses mots cependant ravivèrent des souvenirs. Cette après-midi, durant lequel, avec son habituelle désinvolture insupportable, il m'avait craché la vérité toute nue au visage.

« Bien sûr que j'ai couché avec Ryo. »
« Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'on sortait ensemble, toi et moi ? »

Un soupir suffit à chasser les réminiscences. Je répondis finalement ; je savais bien qu'Hisoka ne lâchait jamais vraiment l'affaire. Maintenant ou plus tard, il reviendrait sur le sujet pour obtenir la réponse qu'il voulait, autant la lui donner tout de suite.

« — Ça n'a plus d'importance maintenant. Nous étions des lycéens Hisoka, aussi idiots que tourmentés.

Mon ancien ami acquiesça en souriant. Effrayant, pensai-je. Je venais de relayer notre relation juvénile au rang d'idiote. Il était bien pire qu'auparavant.

Je n'aurais jamais cru que je te retrouverais dans ce genre d'endroit, lança Hisoka après un court silence.

La formulation de sa phrase me désorienta plus que je ne l'étais déjà.
Ainsi je ne trouvai rien de pertinent à lui répondre.

J'ai changé. Et puis je te l'ai dit : c'est occasionnel.

Je l'observai sourire. Lui aussi avait changé.

Tu as changé alors... 

Ses mots, sa voix, il fallait que je m'y habitue ou je finirais par partir en courant. Je souris pour ricaner. Il fit de même.

Alors qu'est ce que tu fais ici ? À York Shin, je veux dire, précisai-je. Je savais bien ce qu'il venait faire en boîte de nuit. La même chose que moi d'ailleurs.

Je vis ici.

Sa réponse me laissa stupéfait. Dans mes souvenirs, Hisoka devait étudier dans une université de Ryuusei. Il jeta un coup d'œil à mon visage perplexe avant de souffler du nez.

Oui, j'ai étudié à Ryuusei. Pendant un an, après j'en ai eu assez et je suis venu ici.

Je vois.

J'aurais dû m'en douter. Il détestait toutes formes d'éducation, et il haïssait encore plus les contraintes. Hisoka était majeur maintenant, plus rien ne le retenait nulle part.

Et toi ?

Je vis et étudie ici.

Comme tes parents le souhaitaient.

Je lui jetai un regard interrogateur accompagné d'un mince sourire âpre. Enfin je voyais très bien d'où il voulait en venir. Ce regard était plus un signe pour lui indiquer de ne pas lancer ce sujet. Je n'avais aucune envie de parler de ma famille ici avec lui. Hisoka me regardait, les pupilles étincelantes et un sourire fauve sur les lèvres.

Illumi.

Mon nom dans sa bouche, ses syllabes qui roulaient contre sa langue. Une atrocité. Il le savait. Il s'en rendait parfaitement compte. Nous restâmes un instant à nous observer. Je n'avais pas oublié à quel point il était beau. Mais un visage dans un souvenir, c'était toujours trop flou. Trop de temps s'était écoulé et j'avais besoin de me remémorer ses traits. Lui aussi, je crois.

Je vais rentrer, dis-je sans esquisser un geste pour autant. Hisoka fut le premier à bouger ; il plissa les yeux, souffla du nez, se leva et s'étira avec de grands gestes. Je suivis le mouvement, sans le quitter des yeux. Je me souvenus alors à quel point j'avais aimé l'observer alors qu'il ne me regardait pas.

Il y a deux ans, j'avais souhaité ne jamais recroiser sa route. Mais maintenant que l'ombre d'Hisoka s'étalait à moins d'un mètre de la mienne, je ne voulais plus le laisser repartir.

Avant de me quitter, Hisoka m'adressa un dernier sourire glaçant.

Des retrouvailles dignes de nous, n'est-ce pas ?

Je soulevai un sourcil. Faisait-il allusion à mon numéro de toute à l'heure ?

J'imagine, lui octroyai-je en prenant soin de ne manifester aucune émotion particulière.

Hisoka étudia mon air austère un instant avant d'éclater de rire.

Vendredi prochain. Je serais là », souffla-t-il entre deux battements de cœur. Puis il tourna les talons, sa silhouette fendant la foule sans aucun effort.

 J'expirai. Je crois bien qu'il venait de rallumer mon âme.






Ravage [Hisoka x Illumi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant