Ravage [Hisoka x Illumi]

Chapitre 10 - L'idée de la chose

[HISOKA]

À travers l'écran de fumée, la vision que j'avais d'Illumi resta la même. Son visage, tout à fait stoïque, attendit patiemment que toute la brume se dissipe. Puis, comme une bourrasque, ses cheveux fouettèrent mes joues dans son brusque demi-tour. Sans un mot, il poussa la porte grise en m'abandonnant derrière celle-ci. La fuite était un acte rare chez Illumi. Je n'en avais été témoin qu'à quelques occasions clairsemées. Je souriais en me disant que la plupart des fois où cela arrivait, cette évasion, c'était moi qui la provoquait.

Néanmoins, pour autant que les faux-fuyants d'Illumi m'amusaient, aucune réponse ne m'avait été apportée. Et cela me contrariait. L'alcool me faisait oublier le temps. La soirée d'hier soir était un puits noir. Ma main refermant la porte de ma chambre après y avoir allongé Illumi constituait la frontière où s'était arrêtée la course de ma mémoire.

Le flegme d'Illumi était froid certes, mais ce dernier ne semblait pas foncièrement écœuré, furieux ni même ambigu. Son comportement n'était pas exactement comme d'habitude mais il fallait prendre en compte l'apparition mystique de Ryo. Je comprenais son trouble : la résurgence soudaine du coup d'un soir, jamais vraiment parti, qui apportait en cadeaux les souvenirs qui l'entourait. Les circonstances de l'événement m'étaient encore inconnues - plus pour longtemps, je m'arrangerai pour - pourtant il s'agissait là d'Illumi. Moi qui avais eu la prétention de me considérer comme son seul compère, son seul véritable contact en dehors du cercle Zoldyck, cette surestimation faisait fourmiller mes membres. La surprise était délicieuse, le mystère ravissant, et les agissement d'Illumi, tout bonnement échauffants. L'intrigue semblait tout droit sortie de mon imagination, moi qui convoitait, dans mes divagations, l'Illumi désinhibé. Voilà qu'il existait. 

La petite aiguille atteignit le numéro douze. Je rejoignis Illumi dans le hall. Celui-ci me souffla quelques mots par rapport à notre déjeuner : Ryo le partagerait avec nous. Mes esprit naviguait au gré des paroles et de l'attitude nébuleuse de mon ami. Je saisissais en silence le moindre indice et déduisais à partir de peu. 

Ryo et Illumi devaient s'être réconciliés ; ils déjeunaient ensemble. Mais s'étaient-ils seulement mis en colère l'un contre l'autre ? L'hypothèse d'un Illumi dérangé par les retrouvailles fortuites ne devait pas être écartée. Enfin, l'idée d'un déjeuner commun était brillante. Elle me donnait l'occasion d'apprécier d'Illumi - si rare à l'œil nu - tout en ayant à portée de voix le garçon responsable de tout mon amusement. Même si ce dernier tenait surtout aux actes et aux dires de mon ami. Je mourrais d'envie que cet aspect cru de la silhouette d'Illumi, libéré de l'emprise Zoldyck, me soit dévoilé entièrement. J'essayais depuis trop longtemps.

« - Tu es silencieux.

Sa voix transparente parut toquer à la porte de mes desseins. Mon mutisme, à côté du sien, ne méritait même pas cette qualification. Lui savait faire taire l'entièreté de son être, de sa voix monocorde et ses propres pensées. En comparaison, j'étais superbement bruyant, et ce même les lèvres scellées.

- Ça te manque déjà de m'entendre ? demandai-je, un sourire au visage.

Le contrôle glissait des mains d'Illumi. Tant bien que mal, il essayait de colmater les brèches pour l'empêcher de s'enfuir mais il s'écoulait entre ses doigts ; il n'avait aucune idée du fil que suivait mes pensées.

Il visa le dédain en ne m'accordant pas même un regard, mais rata pitoyablemen sa cible atterrissant dans les plates-bandes de la vergogne ; ses yeux ne faisaient que fuir les miens.

- Loin de là.

Le visage tendu vers le soleil, sa gorge dessinait un arc, celui du menton relevé de la noblesse, de la blanche colombe que rien n'atteint, pas même l'aura d'embarras qui auréolait la réapparition de Ryo. Pourtant Illumi pataugeait. Faire face à ce genre de situation n'avait pas fait parti de son éducation. Celle-ci avait d'ailleurs comme objectif tacite de les éviter puisque tout contact humain qui sortait du cercle familial devait d'abord être approuvé par ce dernier.