Chapitre 40 - Plus bas que la poussière

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[HISOKA]

Le plancher craqua sous mes pas lents. Mes yeux se baladaient dans l'appartement : je ne me sentais plus chez moi ici.
Mes pieds fébriles évitaient soigneusement les boîtes de cartons posées et empilées sur le sol. J'avais demandé à partir plus tôt. Le mois de juillet venait tout juste de commencer et je m'en allais pour Ryuusei.

Le studio où je devais emménager était miteux. Mais j'avais cet étouffant sentiment qui me criait que partout serait mieux qu'ici.
Ici, c'était trop proche d'Illumi. Trop proche des souvenirs. Le croiser serait trop douloureux.

Dans une boîte, j'avais rassemblé toutes ses affaires, sans la moindre exception : vêtements oubliés, livres empruntés, et quelques rares clichés. Comme si toute son existence tenait enfermée dans ce carton.
J'avais ensuite scellé avec précaution la boîte, me jurant de la garder pour toujours sans jamais l'ouvrir. Pour matérialiser le poids de mes souvenirs. Pour traîner cette culpabilité avec moi où que j'irai.

À l'heure qu'il était, Illumi devait être en train de me maudire. J'étais un peu près sûr qu'il me haïssait. Enfin il passerait bien vite à autre chose avec sa rentrée prochaine en école de droit. Il n'aurait plus de temps à perdre à penser à moi. Je ne serais plus qu'un vague souvenir polluant son esprit brillant. Je ne pouvais m'empêcher de m'en flatter quelque peu. Ça n'avait d'ailleurs que très peu voire pas d'importance du tout, puisque je n'avais aucun espoir de le revoir.

Je partais, lui aussi. Séparés par ces kilomètres meurtriers, nous ne serons plus que l'ombre du passé de l'autre.

Deux semaines que je lui avais tourné le dos et depuis mes mains n'avaient pas touché qui que ce soit. C'était curieux mais je ne ressentais pas l'envie d'étreindre ou d'être étreint.Je me sentais comme un trou et je n'étais plus très sûr de savoir comment le remplir.

C'était à la fois curieux et inquiétant. Car cet état de quiétude consommée ne saurait duré. C'était comme le calme avant la tempête ; lorsque le monde, brusquement silencieux, semblait s'arrêter pendant quelques instants juste avant que n'éclate l'orage, que la pluie ne se mette à déferler sur les toits et que le vent ne commence à secouer les branches d'arbres trempées. J'allai explosé. Et lorsque cela arrivera, je devrais me trouver le plus loin possible.

Quelques nuits plus tard, le temps était venu pour moi de dire adieu à cet appartement qui avait été mon repère pendant presque deux années. Cet endroit avait à la fois été un symbole de liberté,  prison et finalement refuge. Aujourd'hui, il n'était plus que le vestige d'un autre temps, il marquait la fin d'une époque.

Mes souvenirs gravés dans ces murs, nos voix, nos rires, emprisonnés dans toutes les pièces à jamais. Tes soupirs, la fumée de mes cigarettes, tout y demeurait. Ici, je n'étais plus rien qu'un fantôme, une âme désolée à ma recherche d'un mien de remonter le temps. Alors, après un dernier regard, je fermai la porte derrière moi, dévalai les escaliers, rendis les clés, entrai dans la camionnette sans un mot à Hana qui tenait le volant, claquai la portière et finalement fermai les yeux pour ne pas pleurer. Et c'est ainsi que je quittai Illumi.

Nous arrivâmes à Ryuusei alors que le jour tombait. Le ciel orange semblait plus terne que jamais. C'était probablement cette ville le problème mais le choix de l'endroit où je continuerai mes études ne m'appartenait pas. Si je voulais continuer à recevoir une aide financière du moins. J'avais deux mois entiers pour découvrir les environs et m'habituer à ces nouvelles rues étroites. J'adorais la nouveauté et détestais m'ennuyer, mais pour l'instant l'unique chose à laquelle je pensais était de me calfeutrer dans mon nouveau studio pré-meublé, fermer fenêtres et rideaux, et me réfugier sous le noir de mes paupières.

J'aidai Hana avec les cartons que nous empilâmes un peu partout. Elle me prit dans ses bras pour me dire au revoir et je ne répondis pas à son étreinte; je pensais déjà à m'allonger sur le lit que je venais tout juste de faire.

Deux semaines s'étaient bien écoulées depuis mon emménagement, et en quatorze jours je n'avais même pas ouvert une seule de mes persiennes. Le studio n'était éclairé que par les quelques rayons de soleil qui parvenaient à se frayer un passage entre les lamelles des stores. Le mois de juillet était à son paroxysme et le ventilateur que m'avait donné Hana était en marche quasi-perpétuel. J'en profitais tant que je ne payais pas l'électricité. Je ne sortais donc que très occasionnellement de mon domicile. Lorsque j'avais des achats nécessaires à effectuer.

Les ténèbres de mon appartement me confortaient dans mon malheur. Sortir eut été trop égoïste, il fallait que je souffre maintenant, car après ce serait encore pire. Pourtant, même si m'affliger cet isolement était fondamental, il devenait de plus en plus rude à supporter.

Aussi loin que mes souvenirs remontaient, j'avais toujours rechercher la chaleur humaine et l'attention ; la découverte du sexe avait comblé ce besoin. Une vraie libération. Mais Illumi avait été une bouffée d'air frais, j'étais bien près de lui. Même lorsque nous ne nous touchions pas, je me sentais bien, estimé, chéri. Le sexe avec lui n'était plus une histoire d'attention, c'était plus. Mais j'avais du me convaincre du contraire. Briser l'unique belle chose de mon existence, et nos âmes avec, aussi facilement que l'on souffle sur une bougie.

Mais aujourd'hui j'étais de retour au stade où j'aurais fait n'importe quoi pour être entouré des bras de quelqu'un, n'importe qui, juste quelqu'un. Je ne supportais plus la solitude et l'humidité étouffante de mon studio. J'attendrai la nuit, puis je sortirai et trouverai quelqu'un qui voudrait bien m'ouvrir l'espace de ses bras pendant juste quelques heures.

Pour oublier, pour colmater.

Ravage [Hisoka x Illumi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant