Chapitre 43 - Deux ans

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[HISOKA]

« — Tu penses encore à lui ?

— Non. 

Je me retournai, détournant mon regard des véhicules qui défilaient dérisoirement le long de l'avenue, sous ma fenêtre. Avant aussi, le béton se déroulait en dessous des vitres de mon appartement, mais il y avait moins de passage. Ici, tout était décuplé.

Après la fin du lycée, j'avais emménagé à Ryuusei.  J'y étais resté à peine un an. Puis j'avais rejoint la capitale. Plus grande, plus peuplée, plus de visages. La ville où j'avais vécu toute mon adolescence n'était plus envisageable, elle m'oppressait terriblement, je m'y sentais piégé. Quant à Ryuusei, ce n'était rien d'autre qu'un trou à rat. Il me fallait plus de surface. 

— Tu mens mieux que ça d'habitude.

Arrête de parler et allume ma clope, tu veux ? »

Il rit doucement, en signe d'agrément.

Chrollo Lucilfer. Nous nous étions rencontrés dans un bar poussiéreux de York Shin à l'automne dernier. Lui et moi avions couché ensemble le soir-même, peut-être à cause de ce bistrot minable, peut-être à cause de la pluie ou de l'heure tardive. Toujours était-il que le lendemain, il était reparti en coup de vent en ne m'offrant qu'un sourire et son numéro de téléphone. Il m'avait fallu une semaine pour le rappeler ; cette négligence insultante avec laquelle il m'avait traité m'habitait encore.
À la cinquième sonnerie, pile lorsque j'allais raccroché, il avait décroché.

Nous avions passé la nuit ensemble. Encore. Ça avait été bon. Vraiment bon. Deux jours plus tard, il m'appela à son tour, et le cycle se répéta. Jusqu'à ce soir.

Nous nous connaissions depuis assez longtemps pour qu'il connaisse l'existence d'Illumi. Pourtant, je ne lui en avais jamais parlé directement. Au début il ne savait même pas son nom, Chrollo avait simplement deviné que « j'avais quelqu'un », comme il disait. Je lui en avais seulement apporté la confirmation.

Et maintenant, dès que je me taisais et de manière moqueuse, Chrollo m'accusait presque systématiquement de penser à Illumi.
Ce qui se trouvait être vrai. Parfois.

Illumi, je ne l'avais plus vu depuis presque deux années entières. Autant dire qu'il ne représentait plus rien, si ce n'est un souvenir tantôt amer tantôt mielleux. Sa silhouette n'était plus qu'une ombre lointaine. Et pour cause, je peinais à mes rappeler précisément de ses traits : la courbure des ses épaules ou la nuance exacte du noir de ses cils. Peu à peu j'oubliais à quoi tout cela ressemblait clairement. J'oubliais. Le temps se révélait fatal pour ce genre d'espoir mélancolique, car, évidemment, il y avait des fois où la seule chose à laquelle j'étais capable de penser était lui, lui et seulement lui.

Ma mémoire avait beau me faire défaut, parfois je le revoyais tout de même. Pendant un quart de seconde, son visage s'imprimait sur mes paupières quand je fermais les yeux ou couchais avec quelqu'un. Dans ces moments-là, le souffle coupé, je me retenais de murmurer son nom. Je ne connaissais rien d'aussi délicieusement douloureux. 

En parlant de sexe, il est important de préciser qu'au fil du temps, l'appétence que je portais aux relations charnelles s'était tarie.

J'adorais toujours ça, naturellement, cela m'était même essentiel. Ce dont j'étais désormais incapable en revanche, c'était de coucher avec n'importe qui. Et ce, depuis Maléna. Si la personne avec qui je projetai de le faire se révélait décevante, ennuyante, insatisfaisante en somme ; je me devais de cesser de sourire, de stopper ses avances si nécessaire et finalement, de ne plus lui prêter la moindre attention. Mais avec le temps, j'avais appris à repérer les personnes qui en valaient la peine. Chrollo en faisait partie.

« — Viens là. »

En glissant une cigarette entre mes lèvres, je m'approchai de Chrollo et montai sur le lit dans lequel il était étendu, nu sous les draps blancs. Les couvertures couvraient son corps blafard jusqu'à ses hanches sculptées que je redessinai du regard en passant. Il se redressa pour attraper le briquet posé sur la table de chevet. En tailleur, je m'installai face à lui. Une de ses mains, prenant appuie sur ma mâchoire, se plaça en coupole autour de ma bouche tandis que l'autre allumait précautionneusement ma fameuse cigarette. 

J'inspirai en même temps qu'il s'écarta, et lui soufflai la fumée au visage en ricanant. Chrollo se jeta en arrière sur le matelas, un sourire doucereux plaqué aux lèvres. Je fumais. Comme toujours après le sexe. Cette cigarette, Chrollo et moi la partagions en flirtant de façon détachée. Ses doigts frôlaient les miens lorsque nous nous l'échangions. Dans le noir, seulement éclairés par les lumières criardes de la capitale, lui et moi discutions à bâtons rompus.

« — Comment était-il ? me demanda Chrollo. Je lui avais pourtant souvent défendu de me poser des questions concernant Illumi. Aussi m'apprêtais-je à refuser de lui répondre lorsque cela me frappa : à quoi bon ? Illumi était sorti de ma vie depuis trop longtemps pour taire son nom.

— Pas comme toi.

C'est un compliment ?

 Je ne sais pas...

Je repensai à Illumi, et aux mots qu'il avait prononcés lorsque nous nous étions parlés pour la dernière fois. Ils m'avaient blessé, mais je ne lui avais rien dit. Maintenant, je me souvenais à peine de l'intonation de sa voix, seule l'expression de déception intense qui s'était dessinée sur son visage demeurait gravée dans mon encéphale.

— Je vais y aller, dit Chrollo après ce court silence.

— Tu t'en vas déjà ?  me plaignis-je en entourant ses hanches dénudées de mes deux bras.

Illumi s'évapora.

Il rit en se dégageant de mon étreinte, puis déclara, une fois debout, qu'il devait partir et que de toute façon, ce soir, j'étais ailleurs. Indigné, j'attendis qu'il me tourne entièrement le dos pour saisir son poignet et le faire basculer dans le lit, à mes côtés. Mon corps surplomba immédiatement le sien alors que nos bouches s'écrasaient rudement l'une contre l'autre.

— Ne me laisse pas seul..., minaudai-je contre ses lèvres. 

— Arrête ton char », souffla-t-il avec un sourire narquois. Il passa ensuite ses bras autour de mon cou pour m'attirer dans un nouveau baiser tout aussi belliqueux que les précédents, comme une lutte entre nous deux. Et pourtant, mon cœur battait au ralenti.

Plus tard, Chrollo était parti, insaisissable comme toujours. Le fait que je n'arrive jamais à le retenir me plaisait atrocement. Cependant, cela ne changeait rien au fait que ce soir, par sa faute, je me retrouvais seul avec moi-même. La perspective de passer une soirée avec les pensées déviantes qui m'accompagnaient aujourd'hui me glaça. Je me devais de sortir. Ne serait-ce que pour me changer les idées. Donc, je sortis. 

Je marchais depuis plus ou moins longtemps, indécis ou plutôt sans l'envie de prendre une décision. Puis cette boîte de nuit me vint à l'esprit. Je la connaissais ; j'étais même déjà venu. Chrollo m'y avait emmené.

C'était ce genre d'endroit un peu secret mais très fréquenté. On s'en apercevait lorsque l'on y entrait. Les gens se bousculaient sans scrupule en dansant et sautant. Les lumières y semblaient irréelles; les flashs bleus et roses aveuglaient délicieusement les fêtards. Les basses pénétraient chaque tympan pour pouvoir continuer à y résonner, et cela même après avoir quitté la soirée.

Aussi entrai-je dans le local qui paraissait minuscule de l'extérieur. La musique se rapprochait à chacun de mes pas, j'avançais sans plus d'hésitation. Je ne voulais plus penser à rien.

Ravage [Hisoka x Illumi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant