10.

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- Je me demande ce qui peut avoir convaincu de faire affaire avec Thaddeus si vous n'êtes pas de ce milieu. 

Je coupe ma viande en tentant de lui apporter une réponse convenable et m'interroge sur la raison qui pousse Di Casiraghi à ne pas réagir à cette conversation, et à me museler de la façon dont il le fait. Je ne vois pas vraiment de raison de ne pas en parler ; Corelli est un ennemi commun à tous, cette organisation mais aussi la mafia - c'est ce que j'en sais, du moins. Et alors que je m'apprête à simplement lui dire que le deal était bénéfique pour tout le monde que Thaddeus était le plus compétent, ce dernier me coupe l'herbe sous le pied. 

- Il se trouve que Violence a retrouvé Matteo Corelli. 

Grand silence autour de la table. 

- Son cercueil, tu veux dire. 

Je me racle la gorge. 

- Non, il est bien vivant.

Cette annonce fait l'effet d'un tsunami autour de la table. Les doigts de Sarah se crispent sur sa fourchette, Adrian arrête de manger, John desserre brusquement sa cravate comme si il manquait d'air. Michael me dévisage comme si je venais de faire un blasphème. Enzo se met à jurer très fort et très longtemps en italien, si bien que John lui demande d'arrêter. Je sors de ma poche les photos de l'homme que j'ai traqué pendant des mois, ainsi que sa nouvelle identité, et donne tous les documents aux gens autour de la table. Thaddeus continue de manger tranquillement, mais je perçois sa mâchoires serrée, comme si à chaque fois que l'on parlait du traître la haine ressortait de son âme en gros bouillons et c'est compréhensible. Je sors également une liste et énumère une série de noms. 

- Elena Servillo, Umberto Contarello, Piotr Kiel, Leo Marchitelli, Daniel Johnson, Vittorio Ricci, Frances Biggazi... Ce sont les vôtres ? 

- Pas tous, annonce Thaddeus. Certains étaient de l'organisation. 

- Comment tu as eu tous ces noms ? me demand Sarah avec colère. 

- C'est vrai, appuie Michael. On a pris soin de tous les éffacer. 

- Vous ne les avez pas si bien effacé. Quand il y a une trace, elle ne se perd jamais, et spécialement dans l'informatique, j'explique. 

Le couteau de Michael vole dans ma direction et vient se nicher a côté de la fenêtre. Enzo se lève et dégaine son arme sur Michael en une fraction de seconde, en crachant une autre plâtrée d'insultes. Thaddeus se lève à son tour pour tenter d'apaiser les tensions et j'échange un regard avec John, tremblante. Chaque nouvel excès de colère de l'un d'eux me rappelle à quel point les marécages ici ne sont pas fait de vase mais de sang et de corps. Chaque nouvel accès de violence me rappelle qu'ils sont plus imprévisibles que je ne le crois, et qu'il suffirait d'une seconde pour que la troisième guerre mondiale se déclenche.  

- Ne refais plus jamais ça, siffle Michael en direction d'Enzo. 

- Mi stai dando ordini? Vieni a spiegarti fuori figlio di puttana ! Venire ! hurle ce dernier. ( Tu me donnes de ordres ? Viens t'expliquer fils de pute, viens ! )

Médusée, je regarde cet échange sans bouger, comme les autres. J'ai compris que lorsqu'il y a un conflit, il ne faut pas intervenir à moins d'avoir une position d'autorité, comme Thaddeus. Presque immédiatement, Michael enlève sa cravate, dégaine son arme qu'il laisse baissée et suit Enzo en dehors de la pièce. Je déglutis, peu sûre que de ce qui est en train de se passer, mais Adrian nous fait reprendre le cours de la conversation comme si de rien n'était. Je ne peut pas m'empêcher mentalement de noter à quel point ici la violence, les meurtres, tout ça est banalisé au point que cela ne surprenne plus personne. Comme si c'était usuel ( ça l'est, c'est ça le pire ) et normal, comme si ils allaient juste acheter du pain à la boulangerie. Et alors que John me demande comment j'ai pu obtenir ces photos, et que je m'apprête bien sûr à répondre, je suis coupée par le bruit d'une balle tirée dehors. Mortifiée, ma mâchoire reste pendue en l'air et l'oxygène ne passe plus dans mes poumons. Di Casiraghi se lève tranquillement comme si il allait allumer la lumière et s'approche de la fenêtre, avant de se saisir de son téléphone et de passer un appel, en sicilien, mais trop court et intense pour que j'aie le temps de comprendre. Je pense que quelqu'un est mort, et cette conclusion m'indique que je n'aurais en effet jamais dû venir à ce dîner. 

ULTRAVIOLENCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant