Alberta me guide, le visage paisible alors que je suis très nerveuse.
- Il y a une porte sur le côté dans le deuxième salon. C'est là.
Je n'ai pas vu cette porte en visitant, mais c'est peut-être parce que j'ai été absorbée par la beauté étrange des lieux. Je hoche la tête et elle me laisse dans le grand hall de la maison, alors je travers le premier salon et me rend dans le deuxième. Toutes les pièces communiquent entre elles ; je ne l'avais pas remarqué, maintenant cela me saute au yeux. Dans le deuxième salon, je trouve en effet la porte sur le côté droit et la pousse. J'arrive dans une salle à manger immense. Une grande table en bois brillant se tient au milieu de la pièce dans les tons bleus foncés, des tableaux authentiques habillent les murs et une vingtaine de plats au moins sont disposés sur la table. Seulement deux couverts, par contre : l'un à un bout de la table, l'autre au bout opposé. Je déglutis et un serveur - enfin, je suppose - me dit que je peut m'installer alors je m'exécute en silence et tire la chaise devant moi pour m'y asseoir et attendre patiemment que le grand méchant loup daigne se montrer.
Durant les quelques minutes que je passe seule assise sur ma chaise, j'observe ce qui m'entoure. Le tapis, les chaises, les tableaux, le lustre, les moulures d'époque au plafond... De l'extérieur, la maison ne paye pas de mine, seulement une fois à l'intérieur on comprend vite à quel point tout est luxueux ici. Et si c'est la seule pièce du rez-de-chaussée gardée totalement authentique de l'époque, c'est aussi indéniablement la plus belle de toutes celles que j'ai pu voir jusque-là. Je m'arrête dans ma contemplation lorsque la porte grince soudainement : c'est tout mon sang qui se glace et j'entends mon coeur battre dans mes tempes. Ce n'est pas le moment de se dégonfler car je n'aurais cette occasion qu'une seule fois dans une vie, j'ai attendu des dizaines de mois pour cet évènement. Il faut que je me ressaisisse. Les pas retentissent sur le parquet, francs, et je n'ose même pas me retourner. Puis la personne s'assoit tranquillement en face de moi sans croiser une seule fois mon regard, et je la fixe.
C'est un homme d'une petite trentaine d'années, assez grand et de carrure imposante. Ses mains sont fines mais fortes, s'activent en silence pour défroisser sa veste de costume bleue nuit et ré-ajuster sa cravate sombre. Il a des cheveux bruns foncés et des traits très fortement marqués. Un nez droit, comme tracé à la règle ; une mâchoire taillée dans la pierre, des pommettes qui ressortent légèrement, en accord avec le reste de son visage. Quand il pose ses avant-bras sur la table, joint ses mains et lève enfin le menton vers moi, j'ai l'impression que tout la vie se retire de mon corps. L'aura qu'il dégage est si sombre qu'il suffit d'un instant pour qu'un froid glacial s'infiltre dans mes os et dans mon âme. Je me sens absorbée et vidée de l'intérieur, je me sens tirée vers la mort, je me sens nauséeuse. Ses yeux sont verts clair avec des nuances de gris et de marron, ils sont soulignés par des cernes aussi creusées que violacées. Ses traits sont extrêmement appuyés. Je n'avais encore jamais vu de visage aussi atypique.
- Bonsoir, commence t-il en anglais.
- Bonsoir, je réponds.
Petit silence durant lequel il scrute les plats devant nous sans me prêter plus d'attention que ça. J'aperçois la purée de son côté et une voix intérieure peste de n'être pas plus près pour pouvoir en prendre, mais mon stress monte à chaque seconde qui passe sans qu'il n'ouvre la bouche.
- Servez-vous !
Son injonction finit de m'achever et dans un mouvement maladroit, j'attrape une cuillère et me sers d'une viande en sauce ainsi que de pommes de terre.
Le moment est lunaire.
Je suis assise en face d'un des criminels les plus sanglants du pays, et il n'y a que le bruit des plats dans l'immense salle. C'est quand je finis de me servir d'haricots verts que je me dis que je devrais prendre l'initiative de parler la première car c'est peut-être ce qu'il attend, après tout.
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ULTRAVIOLENCE
RomanceViolence vit recluse à Carthage depuis trois ans, préparant le jour où elle ira à Palerme pour chercher des explications. Et ce jour est enfin venu. Thaddeus n'est pas le genre d'homme qui transpire la sécurité, la bienveillance ou l'amour. Plutôt...