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( Retour au point de vue normal, celui de Violence )


Je boucle ma ceinture, les dents serrées. A deux mètres de moi, dans son siège, ordinateur sur les genoux, Di Casiraghi continue à travailler avec le visage fermé. Nous ne sommes pas adressés un seul mot depuis hier matin, depuis la crise de violence qui lui a fait ravager une pièce entière sous mes yeux ; et ce n'est pas plus mal, finalement. Après cet entretient avec le médecin, je me sens un peu mieux et j'ai réussi à sortir de ma léthargie pour faire ma valise, prendre une douche et me préparer à rentrer à Parlerme... Mais je reste toujours très affectée par ce qu'il s'est passé, par cette prise de conscience, ce nouveau traumatisme et cette entrevue avec le psychiatre. Enzo et Victoria ne sont pas rentrés avec nous, chacun est parti de son côté mais je sais que tous les chemins mènent à Rome, et nous nous retrouverons bien vite - malheureusement. Le jet décolle et je m'agrippe au accoudoirs, ayant toujours cette désagréable impression que la carlingue va se disloquer à cet instant précis. 

- Tu veux un calmant ?

La question de l'homme aux yeux verts est si soudaine que je ne répond pas. Entendre sa voix  de nouveau alors que ses hurlements hantent mes jours et mes nuits...

- Non, c'est bon. 

Il me fixe droit dans les yeux pendant quelques secondes puis se reporte sur son ordinateur. Crispée, je tente de reprendre ma respiration. L'une après l'autre. Un jour après l'autre, comme a dit le docteur Aderholt. Ne pas essayer de comprendre, mais essayer de se protéger, de réagir au mieux. Ne pas essayer de comprendre, mais voir, écouter, ressentir. J'espère, au fond, que ça m'aidera, même si je n'ai pas trop d'espoir ; je m'accroche seulement à ce chiffre. Sept. Sept jours à tenir, et enfin la liberté, et enfin une vie normale. Je fixe la fenêtre par le hublot durant tout le voyage, et de nouveau mes mains attrapent les accoudoirs à l'atterrissage. L'avion à peine posé, Di Casiraghi se lève et range ses affaires alors que l'appareil manoeuvre toujours sur le tarmac. 

- Il n'y a pas de temps à perdre, dit-il. Prend tes affaires. 

Sans broncher, je m'exécute et attrape ma valise dans le compartiment au dessus de ma tête. En retenant un soupir, je le suis à l'avant de l'avion et la porte s'ouvre : le vent brûlant de l'après-midi souffle mes cheveux en arrière et je dévale les marches en fer. Sur la piste, une jeep noire nous attend et je comprend lorsqu'on se dirige vers elle que c'est sûrement le chauffeur de Di Casiraghi. Une fois installés à l'arrière, à peine la voiture démarrée, le patron ordonne au chauffeur de se dépêcher. Ne comprenant pas pourquoi il porte un soudain interêt au temps qu'il nous reste, je ferme les yeux en laissant ma tête reposer contre l'appuie-tête derrière, paisible. 

- Comment tu as trouvé Marshall ? 

- Je... 

Les mots se bousculent dans ma bouche sans arriver à sortir. A vrai dire, je n'ai pas tellement eu le temps de le côtoyer, mais de ce que j'en ai vu, ce n'est pas une personne comme Enzo ou même Adrian. Et même si pour Thaddeus et pour le plan, c'est une arme, il n'en est pas moins différent de tous ceux que j'ai pu côtoyer.

- Sympathique. 

- Vous vous seriez bien entendus, murmure t-il l'air sombre. 

- Pourquoi ? Il est mort ? je demande. 

Un ricanement de sa part me ne rassure pas vraiment et j'aperçois ( malheureusement ) la route habituelle devant nous. La jeep s'engage sur le chemin de terre menant au domaine, perdu entre les forêts et les collines, et je me reconcentre.

- Non. Si tu étais de ce milieu, vous vous seriez bien entendus. Mais il aime trop Victoria et toutes les femmes que je lui envoie pour cela. 

Je déglutis. Marshall et Victoria ? J'aurais plus vu cette dernière avec une femme, et il faut avouer que j'ai du mal à imaginer le militaire - force tranquille -  avec la jeune femme portant une Kalachnikov en guise de sac à main, ensemble. Mais on est toujours surpris, n'est-ce pas ? Et surtout avec ces gens-là. Ne trouvant rien à répondre, je regarde le portail noir s'ouvrir sur le domaine, puis les grilles faire de même et la jeep s'arrête au milieu du chemin. Quatre soldats nous attendent, bien rangés, Lorenzo à leur tête. Thaddeus claque la portière et ses chaussures de milliardaire crissent dans le chemin. 

ULTRAVIOLENCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant