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Aucun de nous deux ne parle. Mais il vient allumer la lumière à côté de moi, le visage de marbre, et soudain, il déclare : 

- Ce que je peux t'offrir n'est que physique. 

Il me faut quelques instants pour me confronter à son regard. Le contraste entre ce qu'il vient de me dire et ce qu'il m'a fait vivre ici est si impressionnant que pendant une seconde, j'ai le tournis. Je ne lis dans ses yeux rien de plus que ce que j'y ai lu tout à l'heure, c'est-à-dire toujours cette haine qui est comme de l'eau glacée, piquante, paralysante, pénétrante. 

- Et ça ne change rien au mépris que j'ai pour toi. 

- J'avais cru comprendre, je murmure. 

J'inspire lentement pour retrouver mon souffle et détourne le regard. La fenêtre est toujours brisée, le verre est éparpillé au sol comme une métaphore ironique de mon séjour ici. J'étais une entièreté avant de venir à Parlerme, et maintenant je suis un tat de débris. Ou alors c'est l'inverse. Je ne suis plus sûre de rien à présent, je ne sais pas très bien, je ne sais plus ce que je suis et ce que je ne suis pas. 

- Je te hais, je siffle.

Sa mâchoire se contracte, ses pupilles se rétractent et il fait un pas vers moi avec un sourire qui traduit toute cette aversion qu'il a également pour moi. 

- Tu crois que je ne te hais pas ? demande t-il posément voix basse.

Nous nous taisons. Et à un moment, je ne saurais dire quand, pourquoi, comment, nos yeux se rencontrent à nouveau comme un éclair qui frappe le sol. Chaque regard que nous nous adressons fissurent un peu plus ma lucidité. Durant de longues minutes, je fixe la commode derrière et me reconcentre sur lui ; il s'y prend à plusieurs fois pour faire voler en éclats ma conscience qui me hurle de partir, de prendre mes jambes à mon cou, de passer en mode survie. Il s'avance vers moi, d'un pas, puis de deux, et j'inspire à nouveau, cherchant de l'air. C'est une situation vraiment étrange, improbable qui plus est, et je n'ai aucune idée de pourquoi est-ce que mon cerveau est si lent à réagir et à donner une réponse qui devrait normalement être très simple : " non ". Il pose une main à côté de ma tête, sur le mur et la proximité devient étouffante, trop importante pour moi. Punaise, qu'est-ce qu'il se passe ? 

- Violenza, voglio ucciderti. ( Violence, j'ai envie te tuer )

- È questo quello che vuoi veramente ? je demande. ( Est-ce que c'est vraiment ça que tu veux ?

- Non giocare. ( Ne joue pas )

Ses mots butent sur mon visage alors que je ne le regarde même pas, accrochée au mur du fond de la pièce, car il faut que je garde un minimum de lucidité et si je le regarde je sens que je vais perdre le contrôle - c'est déjà ce qui est en train de se passer. Il faut que je garde les pieds sur terre, il faut que j'essaie de comprendre ce qu'il se passe, que j'espère de tempérer mon esprit. Pourtant, ma réponse fuse. 

- Au vu de ce que tu viens de me proposer, ce n'est pas ça que tu veux. 

- Et au vu de la façon dont tu n'arrive même pas à me regarder, tu veux la même chose que moi, dit-il avec de la colère dans sa voix.

Je trouve enfin le courage de me confronter à ses yeux. 

- Oui. 

Voilà, c'est sorti. Le mot fatal, celui que j'avais espéré avaler et oublier, celui qu'il ne fallait surtout pas que je prononce, est sorti de ma bouche et je n'arrive moi-même pas à y croire. Ce " oui " résonne quelques instants dans la pièce et je soutiens son regard dans lequel je lis toujours cette haine froide. Comment est-ce que ses yeux peuvent dire le contraire de sa bouche ? Comment arrive t-il à me détester et à me vouloir de cette façon en même temps ? Et moi, comment est-ce que j'arrive à le haïr autant et à avouer que c'est la même chose pour moi ? 

ULTRAVIOLENCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant