Le silence est d’or. Personne ne pipe mot. Perdue dans mes songes après l’assassinat de Césaire je refuse d’entendre Alessandro se venter encore une fois d’avoir tué un grand adversaire. Il l’a eu par surprise, aucune raison de se venter, c’est un lâche, voilà tout. Césaire est bien plus grand épéiste qu’il ne l’est lui. Etait…était bien plus grand épéiste.
Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il soit mort, j’ai l’impression que d’un moment à l’autre Alessandro va m’annoncer que c’était une farce et que Césaire va surgir des bois en pleine forme. Mais non, il est mort. J’ai vu son dernier souffle quitter son corps, sa poitrine cesser de s’abaisser et se relever. J’ai vu le vide dans ses yeux avant que je ne les fermer. J’ai vu un corps vide, sans âme.
Je me sens telle Roméo lorsqu'il a découvert Juliette morte. Lorsqu'il a senti son monde s'écrouler. J'ai l'impression d'être dans une tragédie digne de Shakespeare.
- « Plus vite la grosse ! »
D’un grand coup dans le dos le frère d’Alessandro me fait signe d’augmenter la cadence.
Mes poings se serrent si fort que je perçois du sang couler le long de mes doigts. L’envie de le frapper me démange, mais je dois me calmer. Pour Palmyr et Léonce. Je dois rester forte.
Une idée me vient à l’esprit.
- « Oh par pitié ne me faites pas de mal je vous en prie. Je…je vais marcher plus vite, je vous en fais la promesse mais par pitié ne…ne me frappez pas. » je sanglote.
Il m’observe, surpris par ma réaction. Puis il esquisse un sourire fier et prononce :
- « Tu as si peur de moi que cela ?
- Ou…Oui Monsieur.
- Ah brave fille, tu sais faire la différence entre un nigaud et un brave. Allé, tu t’es rangée du bon côté, tu t’es soumise au plus fort. A présent marche, et plus vite que je n’ai pas à te faire du mal. »
Rentrant dans le rôle que je me suis créé j’exécute une légère révérence et continue de marcher, mais cette fois, plus vite.
*
- « Où sommes-nous ?
- Tu ne l’as pas deviné ? » me répond Alessandro.
- « Non, cela ne me dit rien.
- Cherche, regarde bien autour de toi. Apprend à voir ce que tu ne vois pas. »
C’est la phrase qu’Alessandro m’avait dite lors de notre première rencontre, lorsque je m’étais retrouvée confronté à une impasse en fuyant les gardes royaux et que je n’avais pas aperçu les caisses de bois que l’on pouvait enchâsser les unes sur les autres pour par la suite monter sur le muret.
J’observe mes alentours, à l’affût de souvenirs, d’évocations que les lieux pourraient m’inspirer.
Nous sommes dans une clairière, le jour tend à montrer le bout de son nez.
Tout le long de la clairière, des arbres se dressent, en compétition de hauteur et de largeur de tronc.
Soudain je croise un lieu que je ne connais que trop bien. Comment ai-je pu ne pas le reconnaitre ? La nuit n’est pas une excuse, j’y suis allé en toutes heures, en toutes saisons.
La cabane, la cabane que Papa a faite pour Louis Charles et moi se dresse fièrement dans un arbre environ. Celle dont il a peint le plafond, mais qu’il n’a pas pu achever avant de mourir. Dès mes treize ans j’ai entreprit de finir son œuvre. A l’aide de pinceaux, de pigments et de jaune d’œuf, j’ai fini, en deux ans, la peinture de Papa.
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Raphaëlle
Historische fictieLundi sept mai 1635, sous les rayons solaires du petit matin Raphaëlle Oiseau apprend l'inévitable et le tant redouté. Son mariage. Sa mère ayant entrepris des recherches pour un bon parti depuis la mort de son propre époux, est finalement parvenue...