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𝟓𝟏

Mathieu.
avril.

– Bon, c'est quoi ton problème à toi ?

Je relève la tête face à Antoine, plongé dans la signature des dizaines de papiers et de dossiers de la maison de disques. Je n'ai pas quitté le studio depuis trois jours sauf pour me doucher et me changer, et j'y retournais tout aussi vite. J'ai des milliers de choses à faire et pas assez de temps pour y réfléchir, alors je fais tout de travers.

– T'es la famille, Polak, mais je vais finir par te faire payer une partie du loyer si tu veux continuer à dormir ici jusqu'à la fin de la préparation de l'album, me dit-il. Je suis bien placé pour savoir que la musique, c'est le truc de ta vie, mais t'as vingt-trois ans, aujourd'hui. T'as pas un appartement et une femme qui t'attendent ?

– Ce n'est pas ma femme, je marmonne.

– Mathieu, arrête ce que t'es en train de faire et regarde-moi quand je te parle ou je t'interdis de venir ici. On verra si tu te débrouilles aussi bien pour ta collaboration avec Rim'K en l'enregistrant dans ta chambre d'adolescent.

– T'as cru que j'étais ton gosse, là ? je ricane en pianotant sur mon téléphone.

– Oh mais va te faire foutre, tu veux ? il claque et je redresse la tête instantanément. Oui, t'es un gamin parce que t'es pas foutu de m'écouter quand je te parle, mais t'es pas mon gamin alors arrête de me parler comme si j'étais un con de première, OK ? Ouvre les yeux deux et comprends que tu fais n'importe quoi.

– Qu'est-ce que tu racontes ? je fronce les sourcils. Je sais que je veux faire beaucoup de choses en même temps et que je suis sûrement trop perfectionniste mais de là à me dire que...

– On s'en fout du rap, là ! me coupe-t-il. Je te parle de ta vie personnelle, depuis combien de temps t'as pas vu Marianna ?

Et là, je me renferme et me lève brusquement.

– Ma vie amoureuse ça n'a aucun rapport avec mon taf, reste à ta place.

– Rester à ma place ? Alors je reste à ma place jusqu'à ce que t'ai besoin de conseils ? C'est ça ? il rit jaune. Non, je ne resterai pas à ma place, Pruski, ça n'est pas à toi de décider quand les gens doivent être là pour toi et je ne suis pas ton ami pour te brosser dans le sens du poil. Tu te comportes comme un célibataire une fois sur deux alors que ça fait six mois que t'es en couple. T'es pas capable d'écouter tes meilleurs potes ou ils te laissent faire n'importe quoi ? Parce que tu devrais pouvoir me répondre, sinon : comment c'était ta soirée avec Alicia ?

– La-ferme, Antoine, je crache.

– Certainement pas. Elyo et Hugo sont passés tout à l'heure et c'est Chloé qui a parlé du fait que ta copine se sentait mal. Réfléchis, t'es loin d'être con.

Hugo m'a dit que Chloé avait dormi deux nuits chez Anna. Avec cette dernière, on avait fêté nos six mois. Une demi-année qui, depuis quelques semaines, nous faisait énormément de mal. Je savais qu'Anna se sentait seule mais je n'y étais pour rien, j'avais un album à terminer. Elle l'a su dès qu'elle a voulu s'engager avec moi : la musique passera toujours avant tout.

– Vous me cassez tous les couilles ! On dirait que je l'ai trompé, j'ai rien fait, merde ! Allez voir ailleurs si j'y suis.

Ça faisait cinq jours qu'on ne s'était pas adressés la parole et j'avais assez de recul pour savoir que c'était de ma faute mais elle avait clairement surréagi, même complètement défoncé, je n'irai jamais voir ailleurs.

– Ouvre les yeux, Polak.

Quand je veux répliquer, mon téléphone sonne et c'est le nom d'Ormaz qui me coupe la parole.