Le grand homme commençait à transpirer dans sa grande chemise alors qu'un froid glacial régnait dehors.
- As-tu conscience de ce que tu as fait ? La question fusa.
Monsieur Michel grattait le haut de son crâne dégarni en soufflant lassement.
- Je te signale que tu as des engagements, Rayane, tu es une personne publique, continua-t-il en agrippant le dossier de son fauteuil avec ses deux mains immenses. Tu es une personne publique, un adulte et tu devrais t'en souvenir avant de publier une vidéo pareille sur tes réseaux sociaux !
- C'était un accident... J'avais trop bu, fumé et...
- Tu n'as aucune excuse ! s'emporta soudain le grand homme. Tu as merdé, tu as vraiment merdé.
- Si vous parlez de De...
- Je ne parle certainement pas de ton ex, Rayane, ça ne me regarde pas. Je te parle de tous les contrats que nous avions en cours. Trois réalisateurs se sont rétractés ce matin lorsqu'ils ont appris la nouvelle. Tu viens de te coller l'image d'un connard fini, et ça, aucun producteur, aucun réalisateur n'en veut.Rayane resserra ses bras autour de son large buste, comme pour se protéger des paroles de son agent.
- Je n'ai jamais voulu ça.
- Eh bien on ne dirait pas.Michel avait reçu des dizaines d'appels le matin-même. Des journalistes, des réalisateurs, des producteurs l'avaient harcelé alors qu'il sortait à peine de sa douche brûlante. La moutarde lui était montée au nez, et poussé par la colère et l'humiliation, il avait à son tour violenté son téléphone pour tenter de contacter l'acteur raté. Ce fut au bout du centième appel que le miracle se produisit.
- Rayane j'ai accepté d'être ton agent parce que je croyais en toi, en l'image que tu voulais donner, aux projets que tu voulais bâtir. Je croyais en l'homme honnête et droit, qui aimait se lever le matin pour partir sur un tournage, mais où est-il aujourd'hui ?
- Je n'ai pas changé.
Rayane tenta de se redresser complètement sur son siège mais les images continuaient de défiler derrière ses pupilles. Le décor du bureau dansait et lui donnait envie de vomir son café.
- Je n'ai pas changé ! s'entêta-t-il alors qu'il hoqueta l'alcool de la nuit passée.
- Je ne te reconnais plus, tes fans ne te reconnaissent plus, même ta propre mère ne te reconnaît plus ! Ça suffit décréta Michel, sors d'ici et ne reviens pas avant d'être redevenu toi-même. Je ne veux plus te voir.Rayane décampa avant de demander son reste.
Le voyage lui paru interminable. Il avait la sensation d'être enchaîné à une pierre, placé dans le fond d'un tunnel. La lumière paraissait si loin qu'il avait l'impression que plus jamais il ne l'atteindrait.
Ces derniers mois avaient été catastrophiques, il avait dérivé comme un radeau dans l'océan. Peut-être fusse à cause des confinements, des couvre-feux et autres restrictions, ou peut-être pas. Il ne se souvenait même plus comment son entourage avait changé. Quand était-il passé des danseurs à des fumeurs de shit ? Quelle était la nouvelle femme qui partageait sa vie ? Il avait la sensation de ne plus avoir aperçu Denitsa depuis des siècles, depuis leur dispute en fait.
Il n'avait pas pu accepter qu'elle le quitte au Maroc. Elle préférait rentrer en France, et il avait été incapable de la suivre. C'était sa faute, comme toute cette foutue histoire. Avait-il réellement conscience du paysage qui défilait, des minutes qui s'écoulaient ? L'unique chose dont il fut sûr, c'est qu'un bâton de cannabis l'attendait sur la table du salon.
- T'as bien changé depuis Danse avec les Stars, Bensetti. Regarde-toi, t'es devenu un déchet.
Jérôme l'avait reconnu bien sûr. Mais la chose qui gisait sur sa banquette arrière n'avait plus rien à voir avec l'acteur enjoué. Renaud se retournerait certainement sur son chemin.