Parc des Princes

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Les voitures bouchées dans les rues infestées de supporters criaient à l'honneur du nouveau prodige. Les klaxonnes grisaient le brouillard et la nuit précoce. Mon casque enfoncé sur ma tête m'échappe les douleurs occasionnées aux tympans, et mon blouson est fermement serré contre moi. Le froid s'incruste jusqu'à ma peau, à chaque mouvement qu'elle entreprend, elle ne fait que se resserrer autour de moi, priant certainement que l'arrivée soit proche.

Denitsa n'aimait pas les motos, elle n'a jamais aimé ça. Elle préférait les confortables sièges des taxis, de son SUV, des trains, ou des avions, elle était au chaud, dans l'isolement-même du monde extérieur. Dans son habitacle, ma bulgare n'avait pas besoin de se cacher, de se taire si elle veut chanter, de lever les bras, les yeux au ciel pour insulter. Elle aimait la solitude des voitures.

Mais moi je préférai la rapidité des deux roues, leur simplicité de circulation, l'évitement des bouchons similaires à celui-ci. J'aimais me sentir libre à rouler sur les routes, un genou posé à terre, à ressentir l'adrénaline possible qu'avec ce mode de transport. Regarder fier comme un coq le gain de temps en arrivant à l'appartement.

Personne ne pouvait nous reconnaître sous nos casques, pas même qu'emmitoufler dans les dessus en cuir. Mais elle avait peur et je savais pourquoi.

Deux mois nous séparaient de l'accident dont j'ai été victime. Un connard d'automobiliste, un manque de réflexe, et une vision détériorée jusqu'à la moelle : une personne qui ne devrait plus posséder son permis depuis des lustres. Il a démarré de sa place dans une des avenues parisiennes, fréquentée au possible dans les heures de pointes. Oubliant le réflexe de vérifier son angle mort, il ne m'a pas vu arriver. Je n'ai pas eu le temps de freiner. La voiture m'a percuté de plein fouet, ma moto s'est écrasée contre la roue, et j'ai atterri tête vidée sur le pare-brise éclaté. Je me souviens seulement qu'à l'arrivée des secours, ils ne m'ont pas retiré mon casque, alors que j'aurai voulu crier qu'ils le fassent, mais personne ne m'entendait.

Je vois encore comment Denitsa est arrivée paniquée à l'hôpital, des cernes sous les yeux, le teint pâle dû aux heures de transport : elle était remontée de Sète pour moi. Elle avait quitté son nouveau partenaire pour me retrouver, parce qu'elle était plus paniquée par l'idée de me perdre que part la compétition à laquelle elle participait. Celle que nous avions remportée.

Alors toute ma jalousie accumulée depuis des semaines – des mois – s'était soudainement évanouie.

Je vois encore comment ses doigts m'avaient agrippés, comment elle avait prié dans toutes les langues que nos chemins ne se séparent si vite : elle m'en a fait pleurer. La sentence n'avait pas souhaité m'achever en l'instant, et le choc n'avait pas été si violent, atténué par l'équipement obligatoire que je portais.

La peine accordée à l'homme coupable de mon vol plané ne m'était pas parvenue. J'espérais simplement qu'il arrêterai de conduire, pour le bien collectif. Mais il m'avait réconcilié avec ma danseuse, ça valait bien un nouveau blouson.

Denitsa était accrochée à moi comme un ouistiti à son palmier, elle était inquiète. Elle avait peur qu'un nouveau coup de massue ne m'arrive chaque fois que j'emboîtais ma moto flambant neuve.
« - Tu es sûr de toi ? » m'avait-elle répété jusqu'à ce que je lui enfile moi-même l'habit nécessaire dans l'affrontement des automobilistes. Je le lui avais acheté un matin, alors qu'elle m'avait confié ne plus supporter le chauffeur envoyé chaque jour pour qu'elle se rende aux studios. Et puis, c'était une excuse de plus pour passer du temps avec elle, pour tenter de raisonner cette jalousie qui n'avait pas lieu d'être. Nous étions heureux, nous n'écoutions jamais les journaux, et ne lisions encore moins les articles mentionnant nos noms associés. Des tissus de merdes écris et publiés par des vautours en quête d'existence : nous avions tous deux beaucoup mieux à faire. « Rayane Bensetti a trahi Denitsa » et la semaine d'après « Rayane et Denitsa fiancés : ils parlent bébé ! » sans queue ni tête.

One shootOù les histoires vivent. Découvrez maintenant