Bip.
Bip.
Bip.
Un son continu se déversait à mes oreilles comme parvenant de très, très loin. Et des murmures, des murmures à peine dissimulés par le bruit des machines infernales.
« Lumière...voiture...coma »
J'étais perdu entre vide et conscience. Aucun muscle ne voulait répondre à mon entendement, ma tête refusait de coopérer et ma nuque m'élançait. J'étais en train de me demander pourquoi mon crâne me faisait aussi mal quand d'étranges souvenirs revinrent à la surface. Des cheveux bruns, des yeux chocolats, un corps fragile prêt à se rompre, un lampadaire non loin de là, et cette rue mal éclairée.
Le son devint plus clair, se rapprochait, me ramenait à la réalité. Une odeur de désinfectant, une perfusion au creux du coude, une sonde, et un matelas ferme et incliné ; j'étais dans une chambre d'hôpital. J'essayai de me souvenir comment j'avais pu en arriver là, jusqu'à être couché, et plongé dans un coma artificiel dû aux calmants. La surface autour de mes côtes me démangeait, bandée par un pansement.
J'étais incapable d'expliquer le pourquoi du comment.
Des doigts fins mais pourtant si puissants passèrent sur mon crâne non loin de là où la douleur commençait – prêt de ma tempe droite. Ils entortillèrent délicatement mes mèches de cheveux, si doucement. Mais je ne pu profiter à sa juste valeur de cette caresse, que déjà j'étais perforé par une douleur lancinante me tiraillant dans les deux sens. Le son s'accéléra.
« - Rayane tout va bien... Calme toi. »
Cette voix. J'ouvrais les yeux, heureux de constater que mon corps obéissait enfin. Des formes apparurent, et j'aurai dû m'attendre, comme je l'avais prédit à une hostile chambre d'hôpital ; je ne vis rien. Je ne vis qu'un mirage, d'un camaïeu de couleurs sombres dégradés de gris au noir. Je bâtis des paupières, suffisamment conscient pour comprendre que ma vision n'était plus celle qu'elle était. Je ne voyais pas la bouille angélique de ma femme, ni ses lèvres bouger, ni ses yeux pétiller et pleurer, sourire et déprimer. Je ne voyais rien.
« - Denitsa est-ce-que... J'ai quelque chose devant les yeux ? »
Je soulevais le bras plus lourd qu'une pierre tombale, et touchais du bout des doigts la zone douloureuse sur ma tempe et grimaçais. Je n'arrivais pas à me souvenir, et ça m'énervait. Aucun bandage n'était autour de ma tête, mes cheveux étaient secs et collés, dû au sang certainement. Et puis je remarquai qu'elle n'avait pas répondu à ma question.
« - Denitsa ?
- Je suis toujours là. »J'entendais distinctement dans sa voix que quelque chose n'allait pas, quelque chose clochait et apparemment, je l'ignorais.
« - Tu es à l'hôpital, tout va bien, tu t'en es sorti.
- Pourquoi est-ce-que je ne vois rien ? »Elle échappa un sanglot déchirant, qui me bridait les tripes, qui m'encerclait le cœur. Je détestais qu'elle pleure. Je ne savais jamais quoi faire, à part la serrer dans mes bras et tenter de la rassurer que tout finirait par s'arranger. Mais les choses ne s'arrangent pas toujours. J'espérais que ce n'était pas à cause de moi, ni pour moi. Je ne méritais pas tout ça.
« - Tu as eu accident... Un grave accident. »
Je tendis instinctivement le bras vers elle, et ne vis pas son sourire s'étirer sur ces lèvres que je connaissais si bien. J'étais plongé dans une noirceur, dans une perte d'équilibre. Je tendais et étirais mes doigts sans même savoir où elle se trouvait.