« Denitsa, pose ce pinceau ! »
Elle en avait eu besoin pour repeindre ce mur qui lui faisait face, dans ce nouvel appartement : et elle était bien trop heureuse pour ne rien laisser paraître. Elle puait l'amour et le bonheur à des heures de trains. Même Clément lui avait susurré autour d'une assiette de crêpe, là face à la mer. Denitsa était accro, folle de celui qui partageait sa vie, de toute cette aventure amenée sur le plateau de danse, entre quelques lampadaires et un fantasme fou assouvi au coin d'une salle de répétition.
Denitsa était trop heureuse pour ne pas jouer avec la peinture.
Son complice, torse nu, devant ce mur contre lequel il se battait depuis l'aube, des tâches de blanc partout et ce sourire dont elle était tombée raide dingue. Ou peut-être que c'était de lui, qu'elle était raide dingue.
« Arrête tu vas en mettre partout ! » et à rires déployés, elle recommença à lui balancer de la peinture.
« Que si tu acceptes. »Il leva les yeux au ciel. Après tout il aurai dû s'en douter, pourquoi avait-il encore pensé qu'il allait y échapper ? Attendre une dizaine d'année ? Que plus personne ne sache qu'il savait aligner deux pas de danses l'un derrière l'autre ? C'était sûrement un peu de tout à la fois. Avec sa queue de cheval en vrac, sa salopette en jean à moitié ouverte sur sa brassière, elle était plus belle que jamais. Une des gouttes lancées avait atterri sur sa joue droite. On aurait dit qu'elle n'avait aucun soucis sur Terre, qu'elle était à sa place. Elle ne voulait être nul part ailleurs.
« - Et voilà que tu recommences.
- Rayane... »Alors il reposa le rouleau dans le pot de peinture à sous-couche et regardait la femme de sa vie batailler dans les finitions d'un angle. Le parquet à peu près droit s'étendait du salon à l'entrée de la cuisine ouverte, où les meubles n'étaient pas encore montés.
« Ne me force pas à remettre le sujet sur le tapis. Ce serait super, et puis l'année dernière tu l'avais annoncé. Tu peux t'en prendre qu'à toi. »
Il leva les yeux au ciel une nouvelle fois et constata qu'une couche de peinture devait être appliquée sur le plafond pour qu'il soit immaculé.
« - Tu ne crois pas que les gens en ont marre de moi ?
- Tu rigoles ? » il haussa les épaules. Après tout, il n'en savait rien.Rayane finit par les améliorations de la chambre, là où les lattes et les carrelages étaient stockés. Une baie vitrée baignait la chambre de sa lumière troublée par le brouillard de Novembre. Il manquait les rideaux, et les volets étaient bons à poncés mais soit, ils pourraient bientôt s'installer.
« - Quelle idée j'ai encore eue d'acheter un appartement à refaire. Pourquoi tu me dis pas que j'ai des idées de merdes parfois ?
- Parfois ? » elle haussa à son tour une épaule.
« - J'aurai plutôt suggéré chaque fois.
- Oh mais que t'es drôle Denitsa ! »Il lui envoya un coussin couvert de plâtre, une sorte de farine à l'allure allergique engloba ses cheveux bruns attachés. Elle l'ignora comme elle le pu et poursuivit.
« - Moi en revanche, j'ai toujours des bonnes idées.
- Tu parles de celle impliquant ma présence au studio deux cent dix-sept ? »Pourquoi poser une question à l'avance rhétorique ? Il savait qu'elle sous-entendait très maladroitement cette hypothèse. Mais pourquoi s'obstiner à le refaire danser, quatre ans après leur victoire ? C'était la question qu'il se posait.
« - C'est possible.
- En plus on a plus assez de temps pour une chorée. »Elle fit mine de regarder une montre qu'elle n'avait pas, en laissant suspendre un silence. Il se moquait d'elle ? Ou n'avait-il tout simplement plus assez confiance en elle pour savoir que tout était possible ? Il se cherchait des excuses, il avait peur de revenir après autant de temps d'absence. Mais n'était-ce pas l'occasion de montrer qu'un gagnant sait toujours apporter davantage ? Elle espérait vraiment pouvoir le convaincre.