Il y a précisément quarante-six jours, Denitsa montait dans sa voiture, baignée d'incertitudes et de remords. Ça n'avait pas été une bonne idée de sortir avec son meilleur ami, et c'était encore une moins bonne idée de se rendre à ce rendez-vous.
Elle aurait mieux fait de décliner l'invitation en prétextant n'importe quelle raison qui aurait pu l'éloigner de cette soirée. Mais les dés étaient lancés, et Denitsa avait démarré le moteur. Il rugissait faiblement dans l'allée déserte devant sa maison. L'été battait son plein, et elle regarda son maquillage fraîchement refait dans le miroir du pare-soleil. Ça irait pour ce soir.
En fermant les yeux, puis son reflet, elle se demanda quelle raison obscure l'avait poussé à accepter de sortir avec Christian, celui qu'elle considérait comme un frère depuis qu'elle l'avait rencontré. De son côté, il était fou amoureux, et elle n'avait aucun doute sur ses sentiments. C'étaient plutôt les siens qui étaient aux abonnés absents. Devoir vivre dans ce mensonge l'angoissait, et en fixant la fac de médecine visible tout au loin entre les majestueux arbres, elle se dit que s'en était assez.
Elle avait parcouru les kilomètres qui la séparaient de son meilleur-ami, jusqu'à l'attendre figée dans sa voiture. Denitsa tremblait presque tant elle regrettait, ça n'avait pas été une bonne idée ; peut-être que le manque d'affection, et cette solitude étaient les clés sur cette mascarade, mais comment pouvait-elle en être persuadée ? Elle ne pouvait pas.
Ce fut durant cette soirée, que son avenir bascula.Il y a précisément quarante-six jours, les chemins de Rayane et Denitsa se sont croisés, à l'opposée d'une table de restaurant, entourés d'Emma et Christian, à raconter leurs vies respectives. Denitsa ne paraissait pas remarquer les charmes de son voisin, sans doute car elle se répétait que le célibat était tout ce dont elle pouvait espérer. La petite brune venait de quitter son meilleur ami, et même si une bouffée de soulagement l'avait traversé, elle se sentait coupable. Coupable d'avoir menti.
Mais Rayane ne perdit pas une miette du tableau divin qui se dépeignait devant ses yeux. De longs cheveux bruns, de grands yeux chocolat, un petit nez droit et une voix envoûtante... il savourait chaque essence qu'il récoltait de cette inconnue.
Il avait rencontré Emma en Octobre dernier, dans un festival de musiques urbaines. Il se souvenait encore des grandes affiches propulsées au-dessus de toutes les têtes, qui illustraient avec brio ses artistes préférés. Ce n'était que durant un weekend, et il avait croisé cette fille, tout en forme, des cheveux bouclés et d'immenses yeux bleus. Elle était avec son cousin, et ils se tenaient la main dans l'allée centrale.
Un frisson le parcouru lorsqu'il se remémora de l'état de détresse dans lequel il était, dans la solitude profonde qu'il s'était murée, et combien il était méfiant. Emma était une fille bien, avec un fort caractère, et une grande gueule persistante, mais ainsi soit-il, ils avaient fini par se rapprocher. Malgré les mois qui ont passés et tous leurs moments partagés, il n'était pas tombé amoureux, il n'y arrivait tout simplement pas.
Le soulagement apparent de Denitsa l'allégeait et elle pu s'ouvrir aux deux illustres inconnus qui lui faisaient face. C'était un couple libre, et le visage de Rayane lui paru vaguement tourné dans sa direction. Mais elle étouffa cette pensée et poursuivit son discours.
C'était sans doute après toutes ses déceptions que Denitsa refusait d'à nouveau s'attacher à quelqu'un. Personne ne paraissait en mesure de lui rendre ses sentiments, à deux reprises elle s'était fait broyer le cœur sous un camion. Epuisée, la danseuse s'était murée dans l'idée d'être seule tout le reste de sa vie. Au moins, elle ne prendrait plus le risque de souffrir.
Parce qu'aimer c'est se jeter dans le vide sans parachute. Et malgré les afflux d'incertitudes qui l'enveloppaient, elle était convaincue que personne ne voudrait jamais d'elle.