On entendait simplement le bruit des appareils photos, et la voix off qui hurlait dans les hauts-parleurs. Des centaines de valises roulaient autour de nous, et j'attendais patiemment que la mienne soit enregistrée.
Trop de choses s'étaient produites en seulement quelques jours, trop pour une seule personne. Quelques mois en arrière je quittais ma chambre de bonne, au sixième étage, j'avais regardé une dernière fois les toits de Paris en me répétant que j'avais bien fait d'y croire.
En regardant les rangées d'attente dans cet aéroport, je me souvins que ma vie n'avait pas toujours été celle-là, qu'à une époque je n'aurai pas pu décider de partir à l'autre bout du monde. Mais il ne fallait jamais que j'oublie d'où je venais, et combien la vie ne m'avait pas fait de cadeau avant l'ultime. L'unique cadeau que j'ai reçu, sur ce plateau en bois qu'était le plancher des salles de répétitions. C'était peut-être le seul que j'avais obtenu, mais il avait été celui dont j'avais eus cruellement besoin.
Aujourd'hui ce cadeau dirige ma vie, il l'embellit et le façonne à son image ; il me rend meilleur. Et aujourd'hui, j'avais envie de la remercier pour tout ce qu'elle avait fait pour moi. Denitsa ne s'en rend pas compte, ne pense pas être redevable du moindre acte. Si seulement elle savait tout ce que je lui dois. Tellement, tellement que ça en devient terrifiant.
Sept jours nous séparent de notre virée à la montagne au milieu d'une densité démesurée de neige, quatre du nouveau trophée que j'ai ajouté à ma collection. Et seulement une heure depuis que j'ai débarqué dans la chambre :
« J'ai une surprise, dépêche-toi de faire ta valise. »
Elle m'avait regardé avec de grands yeux incompréhensifs. Ce long regard qui soupesait toute sa force de caractère, et tout ce que j'apprécie le plus chez elle.
Après des mois compliqués à se chercher sans réellement se trouver, on avait fini par se rendre à l'évidence : on ne pouvait pas vivre l'un sans l'autre. Et tenter de le nier n'avait fait qu'accentuer cette sensation qui nous consumait de l'intérieur. On avait fini par emménager ensemble, par choisir des meubles en communs, des draps à notre couleur préférée, et un emplacement dans cette ville où l'anonymat est prohibé.
« Mais je ne sais même pas je dois prendre quoi comme affaires ! »
Elle avait jeté sa valise sur le lit défait, avait fourré toutes sortes d'habits, autant de chaud que de froid, et n'avait pas semblé emballée dans l'immédiat. Denitsa aimait non seulement être prévenue à l'avance, mais aussi contrôler et planifier elle-même ses voyages.
« - Fais-moi confiance. Tu me fais confiance pas vrai ?
- Où est-ce-que tu vas encore m'emmener ?
- C'est une surprise. »Elle avait levé les yeux au ciel et avait refermé d'un mouvement brusque l'objet du délit. Elle avait traversé l'appartement.
« Je déteste les surprises. »
Denitsa avait prit dans ses petites mains son téléphone pour appeler un de ses amis pour la garde de Gimsy. Je le lui avais retiré des mains et l'avais mis suffisamment haut pour qu'elle ne puisse plus l'atteindre.
« - Détend-toi, je m'en suis déjà occupé. Christian va arriver d'ici vingt minutes pour la récupérer. Je suis peut-être désorganisé...
- Peut-être ?
- Mais, ce voyage-là va être parfait. »Finalement elle avait fini par se détendre, sûrement soulagée que je n'ai pas décidé subitement le matin même de l'emmener dans un gît en pleine forêt.
Même sur le chemin dans notre taxi je n'avais pas vendu la mèche. Je savais que si je craquais, l'effet de surprise allait être décanté à l'aéroport, et j'avais attendu des semaines pour voir ce moment. Refléter le bonheur dans ses yeux était le meilleur spectacle au monde, et la voir se pencher par-dessus mon épaule pour apercevoir les vols en attente était à la hauteur. Mais le clou du spectacle a été son expression embellie par la surprise et la joie ; qui aurait cru il y a quelques mois qu'on en serait là ?