Je ne fais pas ce que je veux. Mon agent m'agrippe par le tissus de ma veste m'empêchant d'être emporté dans la foule. Une immensité de sourires m'accueille, ils apaisent cette impression de répression à chaque instant.
La foule est présente pour mon dernier film, un chef d'œuvre d'art et d'acrobaties. Au rendu final, il y a quatorze jours, les larmes m'avaient monté aux yeux. Je me voyais danser sur cet écran, regarder les dernières finitions, et j'avais compris combien la danse avait changé ma vie. J'avais tenté de me persuader du contraire durant toutes ces années.
Arrivé au point de non-retour, il fallait se pencher à nouveau sur ce qu'avait été ma vie jusqu'à la danse, et comment elle a tout chamboulé en passant.
La danse est le pilier qui maintien ce qu'il reste de mon sourire quand ces énergies là sont si loin de moi. Quand je plonge tête la première dans une solitude qui ne peut se résoudre que part un écran de télévision. La musique ne m'aide pas. Les tournages ne durent que quelques semaines. Et quand je pousse cette porte, personne ne m'attend à l'intérieur.
Si la danse m'avait tout apporté, elle m'avait aussi tout repris.
Pour moi tout s'est terminé ce soir de semaine. Un soir paraissant anodin, dans ce salon que j'ai cauchemardé toutes les nuits qui ont suivi. Un canapé que j'ai fini par jeter malgré tous les souvenirs qu'il m'évoquait. C'était sûrement à cause de ça que je l'avais jeté.
Denitsa ne m'attendait pas sur le canapé, une tasse de thé fumante à la main, la télécommande dans l'autre. Tout ce que j'y avais vu c'étaient ces coussins dont j'ai horreur, et une place désespérément vide. Comme l'était mon cœur meurtri depuis.
Elle m'a juste laissé un papier chiffonné de son écriture pas si sereine sur l'ancre. Quelques mots que je revois, qui sont gravés là, à l'intérieur de ma tête. Ma mémoire m'empêche d'avancer, elle qui m'avait systématiquement aidé. Ne jamais oublier un visage, ne jamais oublier des lignes de textes, des attitudes et habitudes. Ne jamais l'oublier elle. Continuer à la voir dans chaque personne que je contemple, qui pourtant n'arrive jamais à sa cheville.
Traîtresse de mémoire qui m'a condamné.
Je ne fais toujours pas ce que je veux. Je suis le convoi, tente quelques fois de prendre une photo avec une de ces innombrables personnes qui attendent depuis certainement des heures. Mais Dalil continue à me tirer vers la salle, là où tout le monde m'attend.
Elle est bondée et mon cœur semble déborder de ses contours. Les cris, les cris et les applaudissement remplissent ma tête qui est déjà prête à exploser. J'avais passé ces derniers mois en convalescence, à errer comme une âme en peine dans les couloirs de ma maison, mon chien à mes pieds, demandant ne serrait-ce qu'un peu d'affection. Même prononcer son nom arrachait des bribes de mes tissus nerveux. Ça avait été elle qui l'avait choisi.
Pourquoi était-elle toujours dans ma tête ? Elle pourrissait mes moments heureux, ceux qui sont en train de se produire, ceux dont je suis incapable de profiter réellement, parce qu'elle n'est pas là. Même après toutes ces années, avec ces déménagements, et ces messages demeurés sans réponses, et cette rancoeur qui prenait une place avide, je l'aimais encore.
Je l'aimais tellement, et c'était à cause de ça que je souffrais autant. J'aimais me dire qu'elle était pareille, qu'elle avait regretté, même si je n'étais jamais parvenu à l'encaisser : elle m'avait quitté alors qu'elle m'avait promis ne jamais le faire. Moi j'avais cru qu'elle disait vrai.
« Je serai toujours là pour toi. »
Mais où était-elle dorénavant ? Elle m'a bloqué sur toutes les plateformes d'échanges existantes. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue, qui elle voit, et encore moins si elle m'a remplacé. J'espérais que non, sa place l'attendait toujours.