Elle prit le train, me laissant là, à quai sur le boulevard des doutes les plus cruels. Je fixais le vide de mon esprit, qui emplit soudainement ma tête, sensation déstabilisante au puéril du reste. Sensation qui se multipliait, qui paraissait me maîtriser, depuis quatre semaines déjà. Ce fut la première fois que j'eus la réelle envie que l'ensemble des trains fassent grève, qu'elle n'arrive pas à se lever du lit, par des crampes d'estomac, ou qu'elle perde, tout simplement. Mais rien, rien en cet instant, n'aurait été plus égoïste que les sentiments qui me traînaient dans la boue. Les lampes clignotaient, une canette se fit éjecter, en un son lointain, et l'automne commençait à s'installer sérieusement. Je resserrais ma veste autour de moi, traversé par un souffle glacé. Je ne su s'il venait du vent, ou de la peur qui me tordait les tripes.
Je la vis s'asseoir, de l'autre côté de la vitre, ses longs cheveux bruns ondulés flottaient dans le courant d'air de sa minuscule fenêtre ouverte. Elle était si belle, et lorsqu'elle tourna la tête, pour me découvrir, je fus réellement peiné que cette fenêtre nous sépare. Mais en réalité, tant de choses à part cette inoffensive fenêtre nous distançaient en cet instant de solitude. Elle m'offrit un sourire, que je jugeais ne pas être digne d'elle et une fois encore revêtit son masque qu'elle maîtrisait si bien.
Et le train démarra, après avoir laissé mon regard en suspend, à l'endroit où il y a encore quelques secondes, lui était adressé.Je soupirai et reculai à pas lents, laissant mon cœur sur ce quai, sur le boulevard des doutes. Je faisais volte-face, longeais les vitrines, en observant mon reflet. Mes jambes me portaient sans que je sache comment jusqu'à ma moto. Je rangeais son casque dans le coffre, enfonçai le mien sur ma tête, et montai dessus, les mains tremblantes. Le cadran de ma montre affichait vingt heures dix, et je savais que dans le courant de la nuit, elle serait là-bas, avec lui.
Je n'aimais pas partager, je n'avais jamais aimé ça, et encore moins lorsqu'il s'agissait de l'élément principal de ma vie. Je pouvais me lever le matin et être fier de ce que j'étais devenu, grâce à elle, et son courage sans fin. Je pouvais suivre la lignée qu'elle m'a tracé, sans plus me perdre sur le bas côté. Et je ne supporterai pas qu'elle entreprenne le même changement sur quiconque qui en éprouverait la nécessité. Elle était comme ça, elle ne pouvait s'en empêcher.
Je n'aimais pas lire dans d'autres yeux, ce qui est visible dans les miens, ce qui est partagé dans d'autres. Ses prunelles noisettes semblaient me suivre partout où je me rendais, sans jamais m'abandonner. Les rues parisiennes poursuivaient devant ma vision, les embouteillages me poussaient à me demander pourquoi au juste, je n'étais pas monté dans ce train avec elle.
Le feu passait au vert, et je démarrais sans ménagements. J'avais hâte de rentrer chez moi, de rentrer dans mon – notre – cocon, celui que nous avions bâti après tant de chemin parcouru. Mes yeux regardaient tout sauf la route, et je ne su réellement comment je parvins à rentrer. Mon téléphone vibrait, je le sentais contre mes côtes, mais résistais à regarder. Je serai trop heureux s'il s'agissait d'elle et trop déçu, si au contraire, elle continuait à m'ignorer.
Nous nous étions disputés, devant la télé, nos deux chiens à nos pieds, où un nouveau prénom entrait dans la danse, plus que celui d'il y a deux ans. Après tant de semaines, tant de mois à partager ma vie à ses côtés, mes vieilles habitudes restaient murées là, veillant à me séparer d'elle, plus que nécessaire.
Depuis que la vie m'avait abandonné une fois, l'année dernière, je n'avais cessé de m'accrocher désespérément à des parois glissantes, qui menaçaient chaque jour un peu plus de m'engloutir tout entier. Je m'étais raccroché à elle, ça n'avait fait qu'accroître notre complicité déjà immense. Mais aujourd'hui, et ça depuis quatre semaines consécutives, elle part rejoindre un nouveau, son nouveau partenaire, et ça, je ne parvenais à le supporter.