Désespoir

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William 

Je doute de pouvoir tenir encore longtemps. La tension augmente seconde après seconde. Et le regard froid d'Adriane ne me facilite pas la tâche. Il voulait faire un retour surprise, et bien c'est réussi.

Son visage est gelé comme la glace, il est devenu une statue alors que je ne lui ai encore rien dit. 

Nous avons atterrit dans son bureau juste après que j'ai ramené Angela dans sa chambre.
 Les infirmiers se chargeront de la sécher, de l'habiller et de la shooter aux somnifères. Il faut bien qu'ils servent à quelque chose. 

Moi j'ai pire à faire. Annoncer la mauvaise nouvelle au père. 

Il semble avoir déjà compris. 

Voilà une demi-heure passée à tuer le temps. Chaque minute est une injection d'angoisse. Assis sur son fauteuil, il attend. 

- Comment est-ce arrivé ? 

Enfin, la question qui tue. 

- Elle a saigné. Commencé-je. Je l'ai retrouvée affalée sur le sol.

Il jette un coup d'oeil à l'armoire à vin. Pourtant, exceptionnellement, aucun de nous ne veut boire quoi que ce soit.

- Je l'ai immédiatement emmenée à l'hôpital mais d'après eux rien de grave, seulement les séquelles de la drogue. 

Son expression est contradictoire. Il m'ordonne à la fois de n'épargner aucun détail et d'en venir aux faits. 

- En sortant de l'hôpital, Daniel a insisté pour nous inviter au resto. Sur le chemin du retour, une voiture noire avec des hommes armés à l'intérieur nous a poursuivi. 

Inutile de lui dire que je me suis démené corps et âme pour protéger Angela. Il le sait. Je lui raconte l'apparition de la deuxième voiture, la grise, qui nous a foncé droit dessus. C'était évident qu'ils cherchaient à atteindre la femme enceinte. Mission accomplie. 

Adriane soupire, les deux mains cachant son visage. Les premiers signes de tristesse. Encore une fois, le monde s'écroule sous ses yeux. Il devrait s'y être habitué avec le temps. Mais qui s'habitue réellement à ce que tout ce qui a été construit s'effondre une nouvelle fois ?

- Sais-tu qui l'a fait ? Souffle-t-il. 

La question est amère. L'EG a d'innombrables ennemis dans le milieu. Adriane en a autant, dans le domaine du business. Pourtant, je sais qu'il a déjà sa petite idée, il veut seulement m'entendre le dire.

- C'est...

Non. Avant ça, une prévention s'impose. 

- Adriane, il va falloir que tu gardes ton calme. 

- Je saurai me tenir. Affirme-t-il. 

Son expression m'accuse d'exagérer, voir d'être paranoïaque. À croire que c'est moi le détraqué.

- Adriane, tu le promets? 

- Promis. 

D'accord, je me lance. 

- C'est Kayon.

Il soulève la table et la renverse, envoyant valser la totalité des dossiers sur le bureau. Pour la retenue, c'est raté. Son souffle vire au cauchemar. Ses grands yeux bleus s'apparentent au rouge.

J'hurle son nom, même pas la peine d'essayer de le calmer.

- Kayon, toujours et encore Kayon. Murmure-t-il.

Mère, frère et maintenant enfant. Le fantôme ne s'arrêtera dont jamais.

- Ça suffit... murmure-t-il une seconde fois.

Adriane, levé contre le bureau renversé, observe le sol tête baissée. Il ne peut supporter davantage. S'en est trop. Il hésite à me demander comment va Angela. Il ne veut pas savoir. 
Soudain, un déclic fait briller son regard avant qu'il ne s'éteigne définitivement. Les yeux larmoyants, il se dirige vers la porte. 

- Ou tu vas ? 

Je n'ai pas le temps de le retenir qu'il est déjà loin. Adriane se volatilise dans la propriété. Super. J'ai eu droit à la disparition de la cinglée, maintenant c'est au tour du psychopathe.

Je retourne la Residence mais bien sûr aucune trace du concerné. 
Récapitulons. Il a perdu un enfant. Dans son esprit tordu, c'est le chaos. Plus aucun retour en arrière alors il marquera forcement son chagrin. 

Je comprend qu'il est dans l'appartement du bébé. Je me dirige comme un fou vers cet étage mais c'est déjà trop tard. Une odeur asphyxiante de brûlé me prend à la gorge.

Sur le chemin, je croise des employées paniquées. 

- Que se passe-t-il ? Demandé-je. 

- Monsieur Adriane... tremble l'une. Il est entré dans l'appartement furieux et c'est enfermé !

D'accord. 

- Appelez les pompiers. Ordonné-je. 

Il suffit de deux coups de pied pour que la porte cède et que je puisse entrer. Bienvenue au royaume des flammes. Ces temps-ci, trop souvent on use du feu pour combattre. À croire que tout ce qui crame est purifié. J'avance dans la fournaise, sonné par la fumée malveillante. 

Plus j'avance, plus je fond. 

- Adriane ! 

Aucun signe. Le plafond tombe comme une pluie d'astéroïdes. Chaque pas est un miracle. Première porte, rien que des meubles consumés par le feu. Deuxième porte, pire image de ma vie ; des poupées aux orbites fondues, aux cheveux noircis et aux robes trouées par la braise. Des nounours devenus charbons. Une impression inconfortable me retourne, comme si ces objets étaient vivants et qu'ils souffraient. Quelle horreur

Troisième porte, cette fois c'est la bonne. Me voilà en enfer et le diable est debout au milieu, dos courbé. J'arrive à peine à distinguer sa silhouette perdue entre les flammes. En revanche, le briquet à sa main est claire.
Il est seul contre ses démons. Seul contre le monde entier. Les bouts de plafonds s'écrasent sur le sol mais sont incapables de lui tomber dessus. Mourir ? Trop doux pour lui. 

Je décide qu'il est temps de sortir. Adriane n'impose aucune résistance et se laisse entraîner.

La pluie arrive en même temps que les pompiers. C'est à dire, quand il ne reste déjà plus rien à sauver de l'appartement du bébé. Adriane s'est enfermé à double tour dans sa chambre, sans même avoir pris le temps d'aller voir Angela. Au moins, je suis sur que sa colère est passé. Il se tiendra tranquille après ce petit scandale. 

Je suis le seul à tenir debout face aux pompiers, aux journalistes déjà sur le coup et à la police venue faire un point. J'ai répété mille et une fois la même chose. Un accident causé par une fuite de gaz.

Quand les derniers enquêteurs partent, je peux souffler.

Plus rien ne sera normal par ici. Le bébé d'Angela et d'Adriane n'a été qu'un doux rêves. Maintenant, il faut se réveiller. 

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Le Dieu et La Reine TOME II : Criminel Malgré Lui Où les histoires vivent. Découvrez maintenant