49. Démunie

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Ce n'est qu'aux alentours de 18 heures que nous quittons tous le domicile de Samuel. Je décide d'aller rendre visite à Nathaniel, et c'est non sans une certaine appréhension que je franchis les portes de l'hôpital.

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Je me dirige d'un pas décidé vers le département "Cancérologie" de l'hôpital, et longe quelques couloirs. Arrive rapidement devant la chambre de Nathaniel.

Me stoppe net.

Ma détermination fond alors comme neige au soleil, et je tressaille à l'idée de voir Nathaniel dans un état plus que critique. Je patiente quelques secondes, en espérant puiser dans ce court laps de temps le courage dont j'ai besoin.

Je ne le trouve cependant pas. Je souffle un bon coup, et m'avance de quelques pas afin de toquer à la porte. Les secondes défilent. Je n'obtiens pas de réponse.

Je pose ma main sur la poignée, froide, de la porte. L'ouvre avec hésitation. La première chose que j'aperçois est la chambre de Nathaniel, plongée dans l'obscurité. Il fait déjà nuit et la lumière n'est guère allumée. Je frissonne d'appréhension. L'ambiance est lugubre.

Vient alors le moment où mes yeux se posent sur le lit qui meuble cette chambre. Et, plus précisément, sur Nathaniel. Il dort à poings fermés, entouré de machines et sous perfusion. La morphine qu'on lui injecte, supposée diminuer ses souffrances, le plonge dans un sommeil lourd et constant.

Il a l'air apaisé, bien que ce soit tout le contraire. L'air serein qu'affiche son visage pourrait même me rassurer, me berner, me tromper. Hélas, ce n'est pas le cas. Mon cœur se serre douloureusement. Parce que je suis consciente que c'est l'une des dernières fois que je vais voir Nathaniel de ma vie.

Je me rapproche de son lit. Ses cheveux d'un noir de jais, légèrement bouclés, collent à son front recouvert d'une pellicule de sueur. Je m'empare du fauteuil qui meuble cette chambre, et le déplace de façon à le rapprocher du lit de Nathaniel. Je m'assois par la suite dessus. Allume finalement la lampe posée sur sa table de nuit. Elle diffuse une douce lumière tamisée.

Sa peau est si pâle. Je souris légèrement en repensant à toutes ces fois où il imitait bêtement une YouTubeuse beauté qui recommandait un fond de teint couleur cadavre. J'aimerais qu'il ait toujours cette énergie.

Je pose doucement ma main dans les cheveux de Nathaniel. Les caresse avec précaution. De longues minutes durant. Soudain, l'idée que je n'ai aucune photo de lui me frappe, et la perspective d'oublier son visage me terrorise peu à peu.

Je veux une trace de lui, de nous, de cette courte période de ma vie. Je me mets alors à réfléchir. Qui dans mon entourage aurait un appareil photo à me prêter ? J'aimerais une photo d'une bonne qualité, une photo que je pourrai garder au fil des années. Il me semble que ma mère a un appareil qui ferait l'affaire. Je compte le lui réclamer dès ce soir. Je me rappelle alors soudainement que ce soir, mes parents doivent me parler de quelque chose en lien avec Nathaniel.

J'observe ce dernier un long moment encore, plongée dans mes pensées. Je m'applique à la tâche de retenir chaque détail de son visage. Cette petite cicatrice en forme de croissant de lune, en dessous de son sourcil gauche. Ces cernes creusés. Ce grain de beauté si près de ses lèvres.

Le temps défile. Mes yeux finissent par se poser autre part. Derrière la fenêtre de la chambre, un arbre nu, démuni. Qui ne cesse de tanguer, en confrontation avec le vent  glacial d'hiver. Derrière cet arbre, un autre bâtiment de l'hôpital. D'autres chambres de patients. D'autres souffrances.

Alors que je songe à partir, j'aperçois les paupières de Nathaniel s'ouvrir légèrement. Je sais pertinemment qu'il est mi conscient, mi inconscient. Qu'il ne va garder aucun souvenir du moment que nous passons.

Son regard embrumé est accroché au mien tandis que je caresse sa joue. Sa lèvre inférieure se met alors à trembler, ses yeux deviennent larmoyants et il déclare, dans un chuchotement désespéré :

- J'ai peur, Gabriella. Je veux pas mourir.

Une tristesse infinie s'empare de moi, en même temps qu'une boule se forme dans ma gorge. Je n'ose pas imaginer ce qu'il ressent. Il est terrorisé. Je ne sais quoi lui répondre. Je suis démunie. Que suis-je censée faire ? Que dire ? Il sait que la mort l'attend. Le néant, l'oubli, le vide l'attend. Je ne peux le rassurer.

- Je suis là, dis-je d'un ton que je ne me connais pas. Tu n'es pas seul.

Une larme roule alors le long de sa joue. Mon cœur se fend en deux. Je me retiens de ne pas céder aux pleurs. Ses lèvres tremblent. Puis s'ouvrent, de façon à me poser une seule et unique question :

- Tu m'oublieras pas ?

Les larmes me montent aux yeux sans que je puisse faire quoi que ce soit. L'immense boule que j'aie dans la gorge m'empêche de parler. Je secoue alors vivement la tête, en signe de dénégation.

- Jamais, chuchotais-je. Je te promets.

Il acquiesce, tandis qu'une seconde larme dévale le long de son visage. De mon doigt, je l'essuie. Je dépose par la suite un baiser sur la joue de Nathaniel, et lui conseille de se rendormir.

Ses paupières se ferment alors à nouveau. Lorsque sa respiration devient plus lente, maîtrisée, profonde, et que j'ai la certitude qu'il s'est endormi, je me lève. Éteins la lumière. Et c'est finalement avec le cœur lourd que je quitte cette chambre silencieusement.

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Aux alentours de 19h30, j'arrive chez moi. Je me déchausse, salue mes parents, me dirige dans le salon. M'allonge sur le canapé. Je devine alors, à la bonne odeur qui émane du four, que nous mangeons pizza ce soir.

Mes parents étant déjà installés à table, je décide de quitter le canapé et de les rejoindre.

La maison est silencieuse. La pizza, prête. Et mes parents, hésitants à l'idée de me parler. Ma mère sort la pizza du four, la pose sur la table, en coupe quelques parts. Je me sers.

- Qu'est-ce que vous vouliez me dire ? lançais-je alors, avant de croquer dans ma part de pizza.

Un silence s'installe.

- Nathaniel a fait une nouvelle infection, annonce finalement ma mère, l'air grave.

- Ce n'est pas la première fois que ça arrive, dis-je.

- Oui, mais..

Un nouveau silence.

- Mais ? dis-je.

- Il ne survivra pas à celle-ci, Gabriella, déclare mon père.

- Il n'est pas en état de lutter contre cette infection-là, reprend ma mère. Elle est trop grave. Il n'a pas les globules blancs nécessaires pour la contrer.

J'avale ma bouchée.

- Combien de temps ? lâchais-je.

Ma mère fronce les sourcils.

- Il lui reste combien de temps ? repris-je.

- Quelques jours.

J'acquiesce en silence. Je n'ai plus faim, mais finis pourtant ma part de pizza. Plus personne ne parle durant l'intégralité du repas. Mes parents ne cessent de me regarder, l'air profondément désolé. Mais également surpris. Il s'attendaient à ce que je réagisse différemment.

Je file ensuite dans la chambre de mes parents. Ouvre de nombreux tiroirs, avant de finalement trouver l'objet de ma convoitise. L'appareil photo de ma mère. Une fois ce dernier en main, je regagne par la suite ma chambre.

Je pose l'appareil photo sur l'une de mes étagères. Et frissonne. J'allume le chauffage de ma chambre, avant de m'emparer de mon téléphone. S'affiche alors un message de Jordan, me demandant si je vais bien. Je repose aussitôt mon portable sur mon lit.

Et décide de préparer mon sac pour la journée de demain au lycée. Nous sommes dimanche, et les vacances ont lieu mercredi, dans trois jours. Le lendemain, ce sera le réveillon de Noël.

Alors que mon sac est fin prêt et que j'en zippe la fermeture éclair, une larme roule le long de ma joue sans prévenir. Je l'essuie de ma main, et pars m'installer sur mon bureau afin de rattraper tout le retard que j'ai accumulé dans mes devoirs.

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For Two MonthsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant